LE JAZZ NE FAIT PAS SON ÂGE
Au Studio 104 de Radio France, le jazz se joue « sur le vif ». Multiple, vivant et jubilatoire, il n’en est pas moins centenaire.
Cette saison, on célèbre les cent ans de l’enregistrement électrique, né en 1925 : une révolution ! Imagine-t-on les premiers grands chefs-d’œuvre de Louis Armstrong et de Duke Ellington sans le bénéfice de cette invention ? Un siècle plus tard, le jazz se conjugue à tous les temps, et récolte toutes les épithètes. Il se montre électrisant, à la manière du quartette du guitariste Pierre Durand, qui sait tirer les leçons de Miles Davis en les mariant aux joies des expériences funk. Étincelant, lorsque le batteur Arnaud Dolmen tire parti de ses racines guadeloupéennes pour nous convier au plus ensoleillé des voyages. Fluide, quand le guitariste Gilles Coronado réinvente à sa main les contours d’un groupe atypique, à géométrie variable. Virtuose, avec le vocaliste Andreas Schaerer, converti à la simplicité du registre des songs, au sein d’un nouveau trio stimulant. Le jazz d’aujourd’hui aime les échappées belles, comme celle de la flûtiste Fanny Ménégoz, repérée aux côtés de Magic Malik, et qui construit à son tour de troublants édifices. Il chérit les couleurs et la calligraphie sonore du trompettiste synesthésiste Antoine Berjeaut . Il plonge avec délice dans l’incandescence pop de la flûtiste Sylvaine Hélary, qui convoque des textures veloutées venues d’autres univers musicaux. Il se délecte des innovantes illuminations orchestrées par le trompettiste finlandais Verneri Pohjola. Éclectique, le jazz contemporain sait aussi se souvenir de son histoire, sans nostalgie. C’est ainsi que Julien Lourau s’approprie avec volupté le corpus électrique de Wayne Shorter. La même flamme nourrit la réflexion du saxophoniste James Brandon Lewis, qui trempe sa plume dans le blues des origines autant que dans le son de ses glorieux aînés, de John Coltrane à Ornette Coleman. C’est également le jeu avec les références qui habite le groupe Root 70, emmené par le tromboniste Nils Wogram. L’hommage se montre parfois furieusement explicite, quand Fred Pallem et son Sacre du Tympan se consacrent à la part jazzique du répertoire d’André Popp, qui aurait eu cent ans en 2024 – et n’a pas composé que Piccolo, Saxo et Compagnie. La filiation est encore manifeste lorsque Daniel Erdmann et Aki Takase célèbrent la mémoire de Duke Ellington, disparu voici un demi-siècle. C’est à dix mains que les pianistes Guillaume de Chassy, Andy Emler, Nathalie Loriers, Carl-Henri Morisset et Benjamin Moussay imaginent un cadavre exquis sur le monde de Keith Jarrett, cinquante ans après son célèbre Concert de Cologne. Et si les repères inscrits dans le patrimoine du jazz n’empêchent nullement le trio formé par Hervé Sellin, Jean-Paul Celea et Daniel Humair d’inventer de brillantes nouvelles histoires, le jeu du vétéran Kenny Barron semble aujourd’hui rien moins qu’intemporel. Décidément « sur le vif », au Studio 104, le jazz ne fait pas son âge !