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Vienne en majesté
L’Orchestre National de France retrouve, au printemps 2025, son ancien directeur musical, l’Italien Daniele Gatti, pour trois concerts regroupant des œuvres d’illustres compositeurs viennois.
La simple évocation de la capitale autrichienne, dans un programme orchestral, a de quoi enflammer un orchestre et stimuler l’imaginaire des mélomanes. Comment se départir en effet, de toute l’émotion ressentie lors d’une simple déambulation dans cette ville où l’on peut découvrir, au hasard de son chemin, les maisons de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert ou Johann Strauss ? Tout y évoque la passion de la musique et cette constellation de compositeurs qui ont marqué son passé.
L’Orchestre National de France et le chef Daniele Gatti n’avaient donc que l’embarras du choix pour vous offrir une carte postale sonore de la capitale autrichienne. Elle se dévoilera en trois temps, au fil de trois concerts où les musiciens rendront hommage à quatre compositeurs très intimement liés à la ville.
L’un des concerts réunira évidemment les trois représentants de ce que l’on nomme aujourd’hui la première école de Vienne : Haydn, Mozart et Beethoven. Ils ont tous trois connu leurs plus grands succès à Vienne, y renouvelant chacun à leur façon leur langage musical. C’est Mozart qui engagera le concert de l’Orchestre National de France et de Daniele Gatti avec l’ouverture de son opéra Così fan tutte. Il cédera ensuite sa place à Haydn et sa Symphonie n°82 : une œuvre à l’esthétique viennoise créée à Paris pour le Concert de la Loge olympique, un orchestre issu d’une loge maçonnique très active dans le monde musical parisien. Elle fait partie du cycle des six symphonies parisiennes et bénéficie d’un curieux sous-titre : l’Ours. Ce surnom viendrait de son dernier mouvement, évoquant aux auditeurs de l’époque un ours dansant maladroitement. Mais il serait regrettable de réduire cette symphonie à ce seul mouvement final, tant l’orchestration se révèle scintillante et lumineuse dès l’ouverture. Un bel instant d’allégresse vous attend ! Enfin, éblouissante et toute aussi exaltante, la Symphonie n°1 de Beethoven lui succédera. Comment composer une symphonie après Haydn ? C’était aussi, probablement, l’interrogation de Beethoven qui a attendu trente ans pour livrer cette première symphonie. Si elle s’inscrit encore dans une esthétique classique, elle a cependant dérouté ses contemporains : trop originale avec ses nombreux cuivres, trop audacieuse harmoniquement, et même, pour certains, désordonnée. C’est pourtant, pour l’auditeur moderne, un moment musical unique et éclatant. Haydn, Mozart et Beethoven, la sainte trinité est donc réunie lors d’un concert qui sera placé sous le signe de l’enthousiasme et de la lumière (le 2 avril).
Toute autre ambiance, lors du troisième volet de ce cycle viennois appelant au recueillement, avec le superbe Requiem allemand de Johannes Brahms. Ce Viennois d’adoption tombe, comme Beethoven, amoureux de la ville dès son installation. Déjà connu et apprécié des mélomanes viennois, il va rapidement devenir une personnalité incontournable du monde musical de la ville, y dirigeant, un temps, l’Académie de chant puis l’Association des amis de la musique. Marqué par la mort de son ami Robert Schumann, puis par celle de sa mère, Brahms confie sa peine dans un requiem d’une incroyable spiritualité et humanité. Cette pièce élégiaque est une tendre consolation offerte aux vivants. Pas de colère ni de jugement dernier, Brahms livre un baume réconfortant, nimbé d’une forte intensité émotionnelle. Portée par le Chœur de Radio France et les superbes voix de la soprano Sara Blanchet du baryton Michael Volle, cette œuvre universelle, ce « requiem humain » comme l’appelait Brahms, vous conduira aux cimes (le 5 avril).
Achevons ce bel hommage avec le concert le plus monumental de ce cycle viennois, qui vous fera entendre la Neuvième Symphonie de Mahler. Comme Brahms, Mahler fut pendant dix ans l’une des personnalités marquantes de la capitale autrichienne. Se considérant, selon ses mots, comme un « Viennois invétéré », il a dirigé les deux principales organisations musicales de la ville, démissionnant finalement de son poste, en 1907, après avoir rencontré de vives oppositions d’une partie des musiciens et du monde musical viennois. Il écrit, deux ans plus tard, sa neuvième et dernière symphonie achevée, une pièce qu’il n’entendra jamais de son vivant.
La période de composition de la symphonie est assez sombre : il lui a été diagnostiqué une lésion cardiaque, il souffre terriblement de la mort de sa fille, emportée par la scarlatine, et il a dû quitter Vienne qu’il aimait tant. Le public viennois, qui découvre la pièce en 1912, en est persuadé : Mahler a livré là son testament musical, son adieu à la vie. Une œuvre grandiose et majestueuse, qui soulève depuis de nombreuses questions chez les musicologues et les interprètes, chacun y voyant différents symboles : Leonard Bernstein entend par exemple, dans certains passages rythmiques, le cœur défaillant du compositeur. Pour Alban Berg, c’est ce que Mahler a composé de plus extraordinaire : « tout le premier mouvement, écrit-il, est imprégné de prémonition de mort ». Cette véritable fresque sonore de près d’une heure et demie fascine par son audace, sa force tragique, son sarcasme, sa désolation, mais aussi, à certains moments, par sa sérénité. C’est sûrement Mahler qui la définit le mieux, lui qui affirmait qu’une « symphonie doit être pareil à l’univers entier, elle doit tout embrasser. » (le 28 mars)
Quel concert choisirez-vous ? L’enthousiasme des classiques Mozart, Haydn et Beethoven ?L’expressive consolation de Johannes Brahms ? Ou le testament crépusculaire de Gustav Mahler ? Dans les trois cas, vous serez témoin de la relation unique qui unit l’Orchestre National de France au chef Daniele Gatti, qui fut son directeur musical pendant huit ans.
Émilie Munéra
« Haydn, Mozart et Beethoven, la sainte trinité est donc réunie lors d’un concert qui sera placé sous le signe de l’enthousiasme et de la lumière. »