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Vent des globes
Tout le monde pourra donner de la voix lors de ce concert participatif intitulé « Reprendre son souffle ! » Le thème en étant l'air, le souffle et le vent, nous avons rencontré le dieu du vent Éole, en personne. Interview.
Huit semaines avant la Journée européenne qui vous est désormais consacrée chaque année, vous trouvez à vous engouffrer dans l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique le temps d’un concert qui vous met à l’honneur. Vous sentez-vous flatté ?
Oui, évidemment… Comment ne pas l’être ? D’autant que je n’ai pas toujours bonne presse ! Dans les médias en effet, il n’est question de moi qu’à travers mes excès de zèle. On évoque ainsi les tempêtes, les cyclones et les ouragans qui s’abattent sur la planète, me faisant passer pour un être brutal et sans pitié. Se souvient-on seulement que je suis aussi capable de douceur et de volupté ? Je crains que non, hélas ! et c’est au soleil qu’il revient d’avoir le vent en poupe… Ses rayons brûlent au moins autant qu’ils caressent, mais les gens n’y voient que du feu.
Est-ce donc l’occasion de rappeler à ceux qui vous dénigrent que le vent n’est pas toujours mauvais ?
Mais oui, tonnerre de Brest ! S’il se pouvait ainsi qu’on me rende un tant soit peu justice, j’en serais ravi. Et qui mieux que la musique pour y parvenir ? Songez donc à tous ces compositeurs prestigieux que j’ai fascinés, de l’opéra au concert : Rameau, Gluck, Beethoven mais aussi Tchaïkovski, Liszt, Strauss, Wagner, Debussy… Nombre de musiciens m’ont accordé leurs faveurs !
Néanmoins, et sans vouloir vous offenser, les noms que vous citez là ont volontiers mis en avant votre nature tempétueuse…
C’est exact, mais suis-je à blâmer pour autant ? Qui m’aime me suive ! À ceux qui me reprochent de souffler le chaud et le froid en permanence, je le dis d’ailleurs sans ambiguïté : en se frottant à moi, les musiciens ont toujours trouvé matière à composer. Des innombrables tempêtes qui ont envahi la scène de la tragédie lyrique aux saisissants orages instrumentaux, en passant par quelques déchaînements de virtuosité pianistique, que de pages noircies pour offrir au public de vibrer à son tour !
Diriez-vous par conséquent qu’au fil des ans le vent a tourné, vous faisant apparaître non plus comme une puissance créative mais destructrice ?
Malheureusement, oui. La faute, peut-être, à quelques dieux vengeurs trop enclins à se servir de moi pour répandre le chaos, comme celui dans lequel l’ouverture d’Iphigénie en Tauride de Gluck nous plonge d’emblée… Car la colère divine a levé bien des bourrasques, piégeant également le Vaisseau fantôme d’un Wagner, condamné à errer indéfiniment dans les flots dévastateurs d’une mer déchaînée. Et que dire des charmes d’une magie noire qui s’accompagnent des mêmes effets chez Shakespeare, dont la fameuse Tempête a essaimé bien au-delà des lignes qui étaient les siennes ? Non, vraiment… Tout cela n’a pas contribué à donner de moi une image favorable.
Pouvez-vous nous dire, alors, qui est véritablement Éole ?
Avant toute chose, Éole est libre. Libre comme l’air… Vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, disait Maupassant, il est aussi terrible que bienveillant. On le sait capable, dans le même temps, de gifler et de caresser, de détruire et d’apaiser, d’étouffer et de rafraîchir… Fallait-il le tempérament fougueux d’un Beethoven pour comprendre ce caractère indomptable qui est le sien, et la finesse d’un Debussy dont la subtile palette sonore en retranscrit les infinies nuances ! Car Éole est insaisissable par nature. D’alizés en zéphyrs, il souffle aux quatre vents d’un globe soumis à ses humeurs changeantes, avec une virtuosité que le piano de Franz Liszt ne pouvait guère ignorer. Dans la dernière de ses douze Études d’exécution transcendante, répondant au doux nom de Chasse-neige, le compositeur se joue en effet des touches du clavier comme Éole le fait des flocons. Il suffit, pour s’en convaincre, de lui accorder un peu d’intérêt…
Non content d’être mélomane, Éole est donc également musicien…
Bien entendu ! Il est heureux, d’ailleurs, qu’il n’ait jamais manqué d’air sur ce point… Avez-vous songé à quoi ressemblerait un orchestre symphonique sans le pupitre des vents ? Il y a là tant d’instruments magnifiques dans lesquels se glisser, de tuyaux où se faufiler pour les faire sonner. L’orgue monumental de la Maison ronde en compte à lui seul cinq mille trois cent vingt… Rendez-vous compte ! Quel terrain de jeu formidable…
Du concert à la rue, des océans à la terre ferme, de la musique savante au répertoire populaire… est-il certains terrains où le vent recule ?
Grands dieux, non ! Quelle que soit la forme qu’il choisit, le vent porte, secoue, bouscule… C’est la vie ! Dans le rapport intime qui les liait à la nature, les romantiques ont su exprimer mieux que quiconque sa puissance, et présenter ce spectacle extraordinaire ramenant l’homme à sa juste proportion. D’autres ont excellé pour leur part à retranscrire la poésie de l’instant… Ce moi farceur qui fait s’envoler un chapeau ou se soulever une étoffe, et dont la plume de Brassens se délecte, évidemment ! Parce qu’une girouette ne suffit pas toujours à suivre la direction du vent…
On l’imagine dès lors un peu las, le vent. Peut-être le moment est-il également venu pour lui de reprendre son souffle ?
Allons, bon… l’instant est mal choisi pour évoquer mon dernier soupir. Quant à la retraite, n’y pensez pas ! Que voudriez-vous que je fasse d’autre, du reste ? La pluie et le beau temps
sur la branche du futur RER E ? Soyons sérieux, j’ai d’autres ambitions !
Les aspirations d’Éole sont-elles aussi silencieuses que ses semelles ou peut-on en savoir davantage ?
S’il n’est de vent favorable pour qui ne sait pas où il va, vous comprendrez sans doute que je m’interdise d’éventer certains secrets… Tendez donc l’oreille et prêtez attention à la chanson qui est la mienne ! La musique commence en effet là où s’arrête le pouvoir des mots.
Propos recueillis
par Fabienne Dewaele-Delalande
Au regard des emplois du temps serrés de Jeanne Dambreville et Thibaut Trosset, l’expression a de quoi faire sourire ! Car, pour la cheffe de chœur comme pour l’accordéoniste, l’heure n’est pas au repos. Le programme ? Il décoiffe… Entre musique savante et populaire, on retrouve ici le goût de Jeanne Dambreville pour l’éclectisme. De Vivaldi à Brassens, de la chanson traditionnelle au répertoire contemporain, elle sème le plaisir à tout
vent ! Les craintes, par là même, s’évaporent, donnant à chacun la certitude de retrouver
ce qu’il aime dans ce savant mélange conçu de main de cheffe pour favoriser également
la découverte. D’aucuns diront que c’est gonflé. Ceux qui suivent de près son parcours,
en revanche, reconnaîtront sa patte. Cette volonté de créer des passerelles, du lien, de la
proximité, qui se manifeste aussi dans la mise en œuvre d’un concert participatif. À ce sujet,
Jeanne Dambreville n’en est pas non plus à son coup d’essai. Et c’est avec enthousiasme
qu’elle investit l’Auditorium, dont la scène centrale se prête bien au jeu des échanges entre
les artistes du chœur et un public à qui l’on demandera de donner de la voix ! D’autant
qu’en cette année du sport il était naturel qu’on mît en valeur le souffle. Sans laisser quiconque sur la touche, il va sans dire… Pour accompagner tout ce joli monde, on pourra
compter sur le quatuor d’accordéons Æolina. Quoi de mieux en effet que cet instrument
à vent, dont Thibaut Trosset se plaît à souligner le côté « caméléon », pour explorer des
registres variés ? L’accordéoniste en parle d’autant mieux qu’il manie le soufflet et la composition avec une égale virtuosité, signant l’ensemble des arrangements. Un authentique
travail d’équilibriste, oscillant entre transcriptions et véritables réécritures, comme pour ce
standard de jazz qui s’enrichit d’un haïku inédit. Pas de quoi effrayer pour autant le Savoyard qu’il est, toujours soucieux de se renouveler et de sonder d’autres horizons. L’originalité de ce concert ne suffit-elle pas à prouver d’ailleurs qu’on peut honorer le vent sans aller nécessairement dans son sens ?
Fabienne Dewaele-Delalande