Vous avez travaillé sur des films qui, à l’instar de Joyeux Noël, sont devenus des classiques. En aviez-vous conscience au moment de composer ?
Ce serait bien agréable de pouvoir prédire qu’un film deviendra culte en lisant simplement un scénario, donc non ! J’ai composé mes partitions avec la plus grande sincérité, le cœur ouvert. Quand j’ai lu le scénario de Joyeux Noël, je me souviens d’avoir été touché par cette histoire, au-delà du film. Quand j’ai composé l’Hymne des fraternisés, par exemple, ce n’est presque pas au film que j’ai pensé, mais à un message de paix. La fraternité peut certes exister entre soldats opposés, mais aussi entre peuples, communautés, individus. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse devenir un hymne rejoué par la suite dans le monde. Au départ, mon envie était de créer un air intemporel, que le spectateur ait l’impression qu’il existe depuis toujours. Le fait que cet air et celui de l’Ave Maria, soient aujourd’hui joués par des orchestres prestigieux est la plus belle des récompenses.
Est-ce qu’une bande originale doit être remarquée ou préférez-vous qu’elle touche la perception du spectateur de manière inconsciente ?
Une musique peut être remarquée pour de mauvaises raisons : si elle est mal composée, ou mal mixée, elle va passer à côté du film. Avant toute chose, une musique doit fonctionner avec le film, s’imbriquer avec lui, faire corps. Il m’arrive donc de dire à un réalisateur qu’il est inopportun de jouer le thème à ce moment précis du film parce qu’il ne faut pas que cela s’entende ; il faut que ce soit de l’underscore, quelque chose qui vous travaille au corps de manière discrète. Bien sûr, cela dépend de la place que le réalisateur veut donner à votre partition. Dans les films de Sergio Leone, par exemple, la musique aura une fonction presque opératique, elle prend le pas sur l’image, il veut qu’on la retienne. Il m’arrive d’avoir des demandes comme cela, car les réalisateurs savent que j’aime les mélodies, les thèmes ; mais je n’entends jamais une mélodie sans entendre l’orchestration, les deux sont indissociables. Ainsi quand je composais Swimming Pool, j’entendais un thème mais également les voix qui l’accompagnaient, les guitares ; j’entends toujours la couleur.
Quels ont été vos maîtres ?
J’ai grandi musicalement avec Chopin, Ravel, Stravinsky. Au cours de mes études de direction d’orchestre, j’ai découvert la musique à programme, qui m’a profondément touché. Tout, dans mon parcours, a convergé vers la composition de musiques de film. Depuis mon enfance, je suis passionné par le cinéma, et j’aime évoquer les sentiments en musique. En rentrant de l’école, j’allais sur mon piano et j’improvisais pendant une heure sur les sentiments que j’avais éprouvés au cours de la journée. Et quand j’ai découvert la musique de cinéma, quand j’ai découvert la musique de Morricone, Williams, Goldsmith et Herrmann un peu plus tard, mon envie de composer s’est trouvée renforcée. C’est difficile de ne donner qu’un seul nom, même si John Williams a une belle part du gâteau.
Propos recueillis par Gaspard Kiejman