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Revenir à l’enfance
Dans ses opéras, ses cantates comme dans ses chœurs (d’enfants), la voix colore toute la production de Benjamin Britten. La Maîtrise de Radio France aborde sa poignante Croisade des enfants.
La voix est l’essence même de la musique de Britten. Voix de la mère que le tout jeune musicien accompagnait de son piano, voix du ténor Peter Pears à ses côtés toute sa vie durant, dans l’intimité du quotidien comme sur les plus grandes scènes du Monde.
Chanter Britten, c’est s’inscrire dans la longue tradition chorale britannique, dont le compositeur lui-même est issu. À Lowestoft, sa ville natale, il n’y avait guère que des chansons apprises en fin de trimestre pour faire un peu de musique, de sorte que Benjamin Britten a souvent écrit pour les élèves. Ainsi les Friday Afternoons, conçus pour les cours de chant du vendredi après-midi, dans l’école dirigée par son frère. Chanter Britten, c’est donc revenir à l’enfance. Se souvenir que la musique partout est nécessaire, et que chanter est la première façon d’en faire. Pour en défendre la pratique active au sein même de l’instruction, Benjamin Britten et Peter Pears ont fondé une association caritative, la Britten Pears Arts, promouvant des formes musicales plus accessibles et démocratiques. Et puisque l’enfance est partout dans la musique de Britten, elle s’en fait aussi bien l’interprète que le public, investit même l’opéra pour s’en faire le personnage principal. Elle incarne l’innocence dans Peter Grimes, s’avère plus malicieuse, sinon perverse, dans Le Tour d’écrou quand, dans ce dernier ouvrage, le petit Miles apprend ses leçons ou révèle la part sombre de l’inconscient en chansons.
« Faisons un opéra », propose Britten pour familiariser les enfants au genre. Chanter Britten, c’est chanter ensemble et chanter pour tous. S’exposer comme s’expose le compositeur, quand il choisit ses livrets, se livrer corps et âme, dans la mesure où la voix, née au plus profond de nous-même, demeure peut-être de chacun la chose la plus personnelle. Il y a, dans la voix, une vérité qui engage le corps et l’esprit. Quand la voix du jeune Miles se brise au terme du Tour d’écrou, Britten explique avoir voulu « quelque chose que la voix frêle d’un enfant chantant normalement ne pouvait rendre. » Le cri spontané, poursuivait-il, pouvait alors donner « l’idée d’une totale délivrance ». Mais la voix sait aussi se faire trompeuse, charmer et manipuler grâce à son apparente beauté. C’est ainsi que l’inquiétant fantôme de Quint, dans le même opéra, attire les enfants à lui. De sa voix claire sortent des mots étranges de la part d’un personnage aussi noir, des mots qui fascinent, tant il est vrai que la tessiture de ténor est dévolue aux héros. Chanter Britten, c’est dire le texte de la façon la plus belle. Puisant dans les œuvres de James, d’Eliot ou d’Auden, Britten était particulièrement sensible à la littérature. À travers ses auteurs, le compositeur parle. Et la librettiste Myfanwy Piper de confirmer : « Les gens m’ont souvent fait remarquer combien il était ridicule d’avoir donné à Quint un langage extrêmement non maléfique (…) La question est comment il maintient son attraction. »
Plus de vingt ans ont passé depuis la fin de la guerre, quand le latin et l’anglais résonnent ensemble dans la cathédrale tout juste rebâtie de Coventry. Le religieux et le profane se mêlant dans la rencontre du texte liturgique et des poèmes d’Owen, la création du War Requiem a eu la particularité de vouloir réunir des voix de trois nationalités différentes. L’a seulement souhaité, car la voix russe n’a pu se joindre à l’anglaise et à l’allemande pour symboliser la nouvelle unité. Chanter Britten, c’est célébrer la paix, à l’heure où de nouveaux conflits éclatent. C’est à la paix que les voix aspirent dans La Croisade des enfants, non pas une expédition médiévale mais une révolte des enfants en Pologne en pleine Seconde Guerre mondiale. Une croisade désespérée dans laquelle toute l’émotion est portée par le chant. « "À chaque fois que je ferme les yeux, je les vois errer", et c’est un enfant qui chante cela », s’étrangle Xavier de Gaulle dans la remarquable biographie qu’il a consacrée à Britten. Souhaitant rendre hommage au Save The Children Fund à l’occasion de son cinquantenaire, le musicien a également perçu les valeurs positives du texte de Bertolt Brecht. S’il l’a mis plus tard en musique, chanter demeure encore la meilleure façon de s’engager et de croire un autre monde possible.
François-Gildas Tual