Titre block
Requiem(s) for a dream

Publié le mer 03/07/2024 - 11:15
Image
Image
Choeur de Radio France
Christophe Abramowitz
Body

Messes, Requiem : de nombreuses œuvres liturgiques ponctuent la nouvelle saison de nos concerts, portées, en majesté, par le Chœur de Radio France. Tour d’horizon.

Il existe tant de styles différents pour ces formes musicales et autant d’esthétiques diamétralement opposées que, depuis leurs origines – remontant au Moyen-Âge – elles continuent d’inspirer compositeurs et compositrices. C’est cet incroyable panel que vous proposent les formations musicales de Radio France : la Messe n°2 d’Anton Bruckner (le 17 novembre), la Messe pour double chœur a cappella de Franck Martin (le 4 février), la Messe n°5 de Franz Schubert (le 13 mai) mais aussi plusieurs Requiem : de Giuseppe Verdi (le 4 octobre), de Wolfgang Amadeus Mozart (le 17 octobre), Un Requiem allemand de Johannes Brahms (le 5 avril), de Gabriel Fauré (le 21 mai), de Maurice Duruflé (le 13 juin), et le Requiem for Nature en création française du compositeur chinois Tan Dun (le 2 juillet).

Quelles sont les différences entre un Requiem et une Messe ? Tous deux font partie du répertoire de la musique sacrée de tradition catholique et s’appuient sur des textes liturgiques en latin. La Messe comprend les chants de l’ordinaire (parties et prières invariables de la messe) que l’on retrouve dans toutes les messes composées : Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei. Le Requiem, lui, ou messe des défunts, se distingue par l’absence du Gloria et du Credo, et la présence, dès le XIIIe siècle, d’une séquence appelée Dies Irae.

Les premières messes sont utilisées lors de cérémonies religieuses. Parmi les premiers compositeurs connus : Guillaume de Machaut au XIVe siècle, puis Josquin des Prés et Palestrina à la Renaissance. Ils ont contribué à l’évolution de la messe entant que genre musical distinct, avec l’utilisation d’un cantus firmus (mélodie chantée par le ténor qui sert de base à la polyphonie). Plus tard, à l’époque baroque, la messe voit l’introduction d’airs, de duos et de récitatifs. Puis au fil des siècles, les compositeurs se sont approprié – plus ou moins – l’ordre liturgique et ont osé plusieurs appropriations personnelles, selon l’époque et les esthétiques. Si la Messe n°5 de Schubert (écrite dans les années 1820) bouleverse par son mysticisme et son expressivité orchestrale audacieuse, la Messe n°2 de Bruckner utilise autant les techniques anciennes (fugue, canon, polyphonies a cappella) que des dissonances et des contrastes forts. Composée, en 1866, pour chœur et orchestre à vents, elle mêle tradition et modernité...mais toujours avec cette intensité brucknérienne si reconnaissable. Plus récente (mais, datant tout de même des années 1920 !) la Messe pour double chœur a cappella du Suisse Frank Martin est une œuvre composée par besoin spirituel. Elle ne sera créée qu’en 1963, son auteur ne voyant aucun intérêt à la partager. Depuis, son succès est immense. Brillante et complexe, elle s’impose par sa pureté architecturale. L’univers archaïsant et fervent s’illumine par le jeu subtil des deux chœurs.

Le Requiem, messe spécifiquement dédiée aux défunts, a aussi une longue histoire. Il est l’un des genres musicaux les plus anciens, dont les origines remontent à l’expansion du christianisme et la naissance du chant grégorien dans les églises. Le premier Requiem est signé Guillaume Dufay (XVe siècle). Mais c’est avec Mozart, en 1791, qu’il atteint une nouvelle hauteur d’expression artistique. Cette œuvre inachevée reste l’une des plus émouvantes, graves et solennelles de toute l’histoire de la musique. Mozart n’en achève véritablement que deux parties, l’Introït et le Kyrie, ainsi que huit mesures de son Lacrimosa. Son élève Franz Xaver Süssmayr termine ce chef-d’œuvre, en en conservant le ton austère et terrifiant. Le chœur semble dévoiler toute sa puissance et son angoisse face à la mort.

C’est à partir du XIXe siècle que Verdi ou encore Berlioz apportent leur contribution, créant des œuvres liturgiques plus expressives et colossales. Si Verdi, homme d’opéra aux succès inégalés, insuffle dans son ample Requiem tout son génie dramatique, Berlioz écrit pour un effectif gigantesque (création aux Invalides en 1837 par plus de quatre cents musiciens !). Mais leur fureur et leur grandeur sont bien loin de l’affliction et de la douceur d’autres Requiem, à l’exemple de celui de Fauré, composé entre 1887 et 1901. Son écriture intime et émouvante, voire angélique, renonce à dramatiser les textes sacrés. En ôtant tout ce qui pouvait avoir un caractère tragique ou funèbre (Fauré supprime le Dies Irae), il donne une couleur poétique, charmante et apaisée à la mort. Cette même atmosphère se retrouve dans le Requiem de Duruflé qui réussit, lui aussi, en 1947, un savoureux compromis entre austérité et volupté. Duruflé intègre l’imparable beauté des thèmes grégoriens dans une harmonisation moderne, illuminant de paix céleste cette messe des défunts.

Plus étonnant encore, certains Requiem ne doivent rien à la liturgie catholique. À commencer par le Requiem allemand de Brahms. Il ne correspond pas à une messe des morts mais à une prière humble luthérienne. Écrit sur des textes bibliques (en allemand), il est traité avec une liberté et un romantisme consolateur plein d’espérance. Ce Requiem humain alterne entre détresse et consolation. Quant au Requiem for Nature du compositeur chinois Tan Dun, créé en 2023, il pose la question de la relation entre la nature et l’humanité. La puissance des thèmes évoqués n’en élimine pas moins l’aspect indéniablement spirituel, introspectif et grandiose des œuvres que nos formations musicales vous proposent...  bien au contraire ! Aujourd’hui encore, la tradition des Messes et des Requiem évolue grâce à de nombreux compositeurs explorant différentes approches stylistiques et sonores pour exprimer la spiritualité et l’émotion à travers la musique et les textes sacrés. Ne les manquez pas en cette nouvelle saison ! De nombreuses concerts vous permettent d’aller au plus près de ces témoignages puissants, prouvant la capacité de la musique à transcender l’homme et à toucher profondément notre âme.

Gabrielle Oliveira Guyon

Texte

« En ôtant dans son Requiem tout ce qui pouvait avoir un caractère tragique ou funèbre (il supprime le Dies Irae), Fauré donne une couleur poétique, charmante et apaisée à la mort. »