Comment caractériseriez-vous l’acoustique de l’Auditorium ?
Elle offre la possibilité d’aller dans la subtilité des nuances et permet une transparence, une beauté sonore et un rare éventail de couleurs. Dans le trop fort, le trop « massif », elle manque toutefois un tout petit peu de volume, ça peut saturer : c’est mathématique et scientifique, cela n’a rien à voir avec la qualité du son. On aimerait pouvoir parfois jouer plus fort et se lâcher sans réfléchir. Alors on se « lâche » avec un beau son. L’Auditorium oblige à chercher, il nous a fait progresser dans la noblesse du son. Enfin, la sensation du contact avec le public créé une impression unique. Le bois, la proximité, la forme ronde et chaleureuse, tout concourt à une échelle humaine.
Vous-même, jouez-vous différemment depuis les premiers concerts ?
J’ai compris son immense potentiel grâce à la musique de chambre. J’y ai joué des quatuors de Schubert, La Truite, l’Octuor d’Enescu. De même, on remarque un chef qui a l’ouïe fine quand il nous demande tout de suite de ne pas jouer trop fort et de chercher dans les nuances qui ne crient pas. Nous devons jouer comme si nous parlions à quelqu’un ; chanter aussi, mais jamais hurler, ça ne marche pas. J’ai remarqué que les salles les plus adaptées à un orchestre symphonique étaient les salles rectangulaires – Vienne, Boston, le Konzerthaus de Berlin, une salle que j’apprécie beaucoup.
À quelle salle pourriez-vous comparer l’Auditorium ?
Je ne vois pas trop. Certaines salles lui ressemblent esthétiquement, mais une fois qu’on joue sur scène, je ne lui trouve pas d’équivalent. L’acoustique, comme l’échelle de construction, obéissent à des proportions originales. C’est un exploit d’avoir réussi à bâtir une salle dans un bâtiment inauguré il y a 60 ans, qui semble si grande et à l’intérieur de laquelle on peut faire de si belles choses. C’est un joyau caché.
En quoi l’expérience du concert diffère-t-elle de celle du Théâtre des Champs-Élysées, autrefois la résidence du National ?
Le Théâtre des Champs-Élysées est plus grand et absorbe davantage. À l’Auditorium, en raison de sa rondeur, il y a un léger retour du son vers nous. Par exemple, lorsque les cors jouent contre le mur, le son se réfléchit et peut créer des retards et des échos. Certains instruments ont parfois des effets laser qui viennent nous titiller l’oreille, selon l’endroit où nous sommes placés. Par ailleurs, le fait qu’il n’y ait pas un étagement important et que l’Auditorium ne soit pas plongé dans le noir contribue à la formidable impression d’intimité. On voit le public et les visages. J’aime observer les spectateurs qui regardent le chef d’orchestre ; ma chaise est une place intéressante ! Aux Champs-Élysées, le public est beaucoup plus bas et dans le noir.
La présence du public derrière l’orchestre modifie-t-elle quelque chose ?
Elle renforce la proximité avec le public. Quand, à la fin du concert, on se tourne pour saluer les spectateurs assis derrière nous, ils applaudissent presque aussi fort que le reste de la salle, alors qu’ils ont deux tiers de moins. Ils se sentent pris en compte, se lèvent, nous disent merci… Je me dois de rappeler au chef invité, qui peut oublier, qu’on doit se retourner au troisième salut.
Quels sont vos plus beaux souvenirs de l’Auditorium ?
Sûrement le concert d’inauguration dirigé par Daniele Gatti, un fin horloger, avec la Suite du Chevalier à la rose de Strauss, que je jouais pour la première fois. Je me rappelle aussi la photo que nous avions prise durant le chantier à ciel ouvert. Voir pousser ce nouveau bâtiment au cœur d’un espace qui paraissait déjà rempli, c’était magique. Et comment oublier cette Neuvième de Bruckner avec Bernard Haitink, qui découvrait lui aussi cette salle ? Taiseux, il dosait les ingrédients tel un cuisiner. Même s’il connaissait le National depuis longtemps, il nous faisait partager son bonheur de cette nouvelle page à écrire.