Racontez-vous vos la soirée d’inauguration de l’Auditorium de radio France du 14 novembre 2014.
Intense émotion ! Myung-Whun Chung, alors notre directeur musical, avait choisi un programme sur mesure avec, entre autres, la Suite de Roméo et Juliette de Prokofiev et la deuxième Suite de Daphnis et Chloé… C’était un véritable fauve. Il avait envie de mettre l’Orchestre en avant, mais surtout avait à cœur d’ouvrir cette salle. Il était profondément heureux pour les musiciens qu’ils puissent bénéficier désormais d’une salle à la hauteur de leur futur. Même si, pour lui, son mandat à Paris touchait à sa fin.
Comment définiriez-vous l’acoustique de l’Auditorium ?
D’abord, c’est une acoustique que j’adore. C’est à la fois une acoustique de studio et de concert, dont le côté analytique autorise toutes les nuances, y compris le pianissimo le plus ténu. Il est très agréable, en tant que hautbois solo, de jouer au milieu de la salle, tant en musique de chambre qu’en soliste. J’ai eu l’occasion de créer plusieurs concertos depuis l’ouverture, et j’y ai toujours éprouvé beaucoup de plaisir.
La façon de Mikko Franck de jouer dans et avec la salle a-t-elle évolué ?
Oui. Il a cherché et il cherche encore. Récemment, pour le Prélude à l’après-midi d’un faune, il a choisi de disposer les petites percussions à côté de la petite harmonie, pour un contact plus intime et un son plus gourmand. Quant aux cordes, on peut regretter parfois que les basses ne soient pas totalement mises en valeur lorsqu’il les place sur le côté droit. Je préfère les basses au milieu, personnellement, mais il fait ce choix par rapport à la salle. Au bout de 10 ans, on joue bien mieux avec l’Auditorium.
Quels chefs vous ont le plus surpris ?
Krzysztof Urbański, par exemple, se déplace beaucoup durant les répétitions. Il n’a pas d’assistant, ne demande pas au violon solo de prendre les choses en main, et court dans la salle. Il enchaine, va, revient et dose ainsi les équilibres. C’est un travail intéressant, emblématique, pour ce qui est de la recherche acoustique, d’une volonté de valoriser et de marier au mieux salle et orchestre.
Quel est le répertoire qui lui convient le mieux ?
Difficile à dire ! On a joué des Bach et des Haendel somptueux avec Leonardo García-Alarcón, des Schumann parfaits avec Philippe Herreweghe, d’impressionnants Wagner avec Marek Janowski, lesquels prouvaient que la salle était idéalement proportionnée à cette musique.
Si vous deviez sélectionner deux ou trois concerts marquants de ces dix ans, quels seraient-ils ?
Déjà, tous les concerts avec Alarcón. Lorsqu’il est venu nous diriger pour la première fois, dans les Fireworks de Haendel, dès la première répétition, avec une sonate pour basse continue et hautbois, on a senti qu’on allait, grâce à lui, découvrir des choses immenses. Tous ses concerts ont été des événements, la Passion selon saint Jean, Acis et Galatée et j’en passe… La géométrie variable de l’orchestre est une chance, qui nous autorise ce répertoire. J’ai aussi beaucoup aimé l’intégrale des symphonies de Sibelius dirigées par Mikko Frank la saison passée, un gros boulot, un défi pour l’Orchestre, conférant à ces trois concerts un caractère singulier. Les Oiseaux exotiques de Messiaen, portés par Barbara Hannigan et Bertrand Chamayou, furent une expérience jouissive, où nous étions entourés de claviers et de percussions ainsi que dans une volière. Enfin, j’aime beaucoup, en entrant sur scène, l’impression de pénétrer dans une arène. On est tout de suite en contact avec le public – et un public qui attend quelque chose ! Les auditeurs ont le sourire avant même que le concert ait commencé, et ils en veulent encore plus. Ils veulent du bonheur.