Surtitre
Rencontre avec Nicolas Pommaret de France Musique 

Publié le mer 11/12/2024 - 14:30
Image
Image
Nicolas Pommaret - Photo : Christophe Abramowitz
Nicolas Pommaret - Photo : Christophe Abramowitz
Body

Pas facile, peut-être, de reprendre l’antenne après la compétente bonhomie enthousiaste d’Alex Dutilh, « monsieur Jazz » sur France Musique, parti après 42 ans de micro. Nicolas Pommaret a tranquillement pris sa suite, avec naturel, tuba et belle voix grave. Feuilletons quelques pages du « dictionnaire Pommaret ».  

 

Brief 

Je l’ai su le 21 juin. J’étais au concert au studio 104, avec Alex Dutilh et Nathalie Piolé. J’attendais des nouvelles de Marc Voinchet et Stéphane Grant (nos deux patrons). Et Marc m’a envoyé un texto. Nous sommes allés au restaurant pour discuter, et il m'a dit « ... on aimerait bien que ce soit vous. » Si un jour j’écris mon autobiographie, ce sera le titre d’un chapitre, assurément ! Et à partir de là… C’était tout ! On s’est revus 3 heures au mois de juillet, je pensais qu’ils allaient me faire un brief, et en réalité pas du tout ! J’étais libre sur le ton et le contenu. Ils m’ont assuré qu’ils m’avaient déjà beaucoup écouté. Je fais donc avec ma culture d’auditeur de France Musique, avec mon ton qui n’est pas celui d’une radio commerciale, et puis je m’amuse avec la réalisation : parler sur les morceaux, en jazz, ce n’est peut-être pas si dramatique ! Si on me dit d’arrêter, je le ferai, mais pour l’instant ça va. 

 

Chicago 

Il y a 14 ans, à Tournon, dans la Vallée du Rhône, le centre socio-culturel a monté un projet de radio associative. J’ai été un jour invité pour y présenter l'orchestre amateur dans lequel je jouais, et le gars m’a senti très à l’aise, et m’a invité à essayer. Il voulait des émissions de pop-rock, et j’ai dit « non ! Ce n'est pas mon truc. Moi, c’est le jazz. » J’ai fait 8 ou 9 émissions avec mes propres disques. Ils ont ensuite monté un dossier au CSA (parce que c’était une radio éphémère) et, à partir de 2011, j’ai pu commencer Déclectic Jazz, mon émission qui a duré jusqu'au 4 juillet 2024. C'était une hebdomadaire de 2 heures sur l'actualité du jazz, diffusée ces derniers temps sur 37 radios : dans toutes les régions françaises, plus une à Vancouver, une en Belgique, une au Portugal, et une à Chicago ! C’est comme ça que je me suis formé. 

 

Déménageurs 

Mon père était instit et on habitait dans le logement de fonction situé au-dessus de la classe. Un beau jour de décembre 1982 (je m’en souviens très bien), il m’a fait sortir de la classe. Il voulait me montrer les déménageurs qui montaient le piano. Ce jour-là a tout changé : je prenais mon premier cours de piano le soir même. Puis je suis entré sur concours au conservatoire de Valence ; j’étais avec Michel Robert, un élève du célèbre organiste Pierre Cochereau. 

 

Duke Ellington 

Mon professeur Michel Robert m'a marqué, de mes 10 à mes 20 ans. Pourtant le jazz… eh bien, ce n’était pas trop son truc. Arrivant un jour avec une partition de Duke Ellington, il m’a dit : « tu n'as pas besoin de moi pour faire ça ». J'ai compris bien plus tard qu'en réalité, c'est surtout qu'il n'avait pas les codes. Mais nous avons toujours éprouvé une grande affection l’un pour l’autre, et quand j'ai su, fin juin 2024, je l’ai appelé tout de suite. Nous avons été tous les deux très émus.  

 

France Info 

J'ai beaucoup écouté la radio. France Info a été créée en 1987 (j’étais en classe de 5e), et je me suis mis tout de suite à l’écouter. D’ailleurs, je me suis aperçu plus tard, en étant prof d’histoire-géo, que ce n’était pas tout à fait le cas de tous les gamins ! Et puis à 15 ans, c’était France Inter (il y avait encore du jazz, d’ailleurs, à cette époque). France Musique, que je trouvais alors moins accessible, est arrivée dans mon poste de radio un peu plus tard, après FIP (que j’écoutais en hertzien, lorsque j’étais à la fac à Lyon). C’était service public. C’était forcément service public. Je suis un gosse de Radio France, en tant qu’auditeur. Quand j'ai atteint la vingtaine, j’ai passé des entretiens pour travailler à France Inter l’été, j’avais même intéressé les bonnes personnes mais qui n’ont pas pu m’aider. C’est ainsi que je suis devenu prof dans le secondaire, pendant 25 ans. 

 

Miles Davis 

Le jazz est venu grâce à mes parents. En 1984 (j'avais 9 ans), au festival Jazz à Nice, j’ai vu B. B. King. Je ne m’en rappelle pas beaucoup, ce sont des souvenirs de gamin. Par contre, je me souviens d’un grand mec qui tournait le dos au public, avec sa trompette : c’était Miles Davis. Je l’ai vu.  

 

Oncle 

Je n’ai eu aucune consigne, aucune école sur le sujet du micro. Pour le moment, je fonctionne avec mes convictions de pédago : il faut parler à tout le monde. La culture doit forcément être exigeante, mais elle ne doit pas être excluante, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir embarquer tout le monde. S'il y a un peu de facilité de temps à autre, c'est justement pour pouvoir embarquer tout le monde. Là, je reçois les premiers retours de personnes proches (qui ne sont pas forcément musiciennes mais qui me connaissent, qui n’auraient pas forcément écouté France musique, et qui ne m’ont pas forcément écouté ces 13 ou 14 dernières années, je pense à mon oncle, pour ne pas le citer) : elles n’en ratent pas une, et me disent qu’elles apprécient l’alternance. 

 

Tuba 

Je suis de 1975. J'ai 15 ans en 1990, et je suis, déjà à cette époque, intéressé par le jazz : j'en écoute, je vais aux concerts (nous n’habitions pas très loin de Vienne et donc de Jazz à Vienne). Mais les écoles de jazz n’existaient pas encore : je jouais correctement du piano mais je n’ai pas pu apprendre le jazz. Aujourd'hui, je joue dans un grand ensemble de jazz au tuba, mais je n’ai pas cette culture d'improvisation, venant de la culture classique. D’ailleurs, je n’avais pas le niveau nécessaire en piano pour être professionnel ; mais si j’avais commencé par le tuba, ça aurait peut-être été une autre histoire. Le tuba est arrivé quand j’avais 18 ans, pour rendre service à l’orchestre d’harmonie du coin, tout simplement ! Et j’ai fini par enseigner le tuba, de 1993 à… août dernier, lorsque j’ai su que j’allais avoir l’émission sur France Musique !  

 

Vent 

La radio m’a certes aidé à m’exprimer en public. Mais mes années d’apprentissage du tuba aussi. Utiliser le ventre, la puissance, sans avoir à forcer. En classe, cela sert, tout comme en radio. Dès que je faisais passer des oraux, je disais aux élèves : le stress ne s’entend pas forcément. Cela, je l’ai appris en musique : si ça s’emballe dans la tête, il ne faut pas s’effondrer. Cela se rapproche de la technique d’instrument à vent. 

 

Vie privée 

J'avais conscience qu’il fallait être à Paris. Cela fait des années que j’y viens régulièrement, pendant mes vacances de prof, pour aller dans les clubs. Et puis, la vie privée s’en est mêlée : j’ai rencontré une Parisienne, et cela a beaucoup aidé ! Désolé, c’est ma vie privée, mais vous vouliez tout savoir ! La première semaine, je ne suis pas sorti : je voulais bosser… mais dès la deuxième semaine, je suis retourné dans les clubs.  

 

Wayne Shorter 

Dès ma première semaine d’antenne, j’ai mis un Wayne Shorter de 19 minutes. J’ai eu un peu peur. C’est beaucoup. Et puis je me suis dit qu’on le fait aussi en classique. Et je l’avais choisi ! On ne s’ennuyait pas, il y avait un long crescendo qui nous tenait en haleine. C’est une façon de tester différents formats et sensibilités. Il faut donner à manger à tout le monde. Chaque soir, je fais en sorte que mon menu soit cohérent. Ce soir, il y a du piano avec de la trompette en dominante. Demain ce sera autre chose. 

 

Propos recueillis par Christophe Dilys 

Au cœur du Jazz / Nicolas-Pommaret / France Musique - Photo : Christophe Abramowitz

Titre
Au cœur du jazz