Quel regard porte le cabinet Nagata Acoustics sur l’Auditorium de Radio France, dix ans après ?
Nous en sommes particulièrement fiers et faisons souvent référence à lui auprès de nos clients. À titre personnel, c’est l’un des premiers projets sur lesquels j’ai travaillé, aussi j’entretiens une relation particulière avec l’Auditorium, auquel j’ai été très fidèle comme spectateur ces dernières années. L’un de nos objectifs était que la salle permette aux orchestres de briller et d’entretenir une relation avec un lieu précis – ce qui manquait, par le passé, et justifiait la création d’un espace au sein de la Maison de la Radio. L’Auditorium possède, dans son niveau de compacité et d’intimité, un caractère assez unique, lié aux contraintes même du site. La salle plonge « au cœur de l’orchestre », pour reprendre le titre d’une fameuse émission, mais c’est plus qu’un slogan, c’est une réalité qui rend à la fois très originale l’expérience du concert à Radio France et complémentaire de l’offre parisienne. Après 10 ans de vie, cela se confirme.
Vos choix seraient-ils différents aujourd’hui ?
Probablement. Il n’y aurait aucune raison de faire des choix absolument identiques quinze ans plus tard (car si la salle a été inaugurée il y a 10 ans, les plans, eux, en ont 15 voire 20 pour leurs aspects les plus fondamentaux). Saurais-je mettre le doigt sur un détail en particulier ? Non. Simplement, notre pratique évolue, et l’architecte aurait peut-être, lui aussi, répondu à certaines problématiques différemment. Ce serait une faute professionnelle de répondre de manière identique à un même cahier des charges, 20 ans après.
Cette décennie a-t-elle révélé des « erreurs », des points à améliorer selon vous ?
Même si la salle est figée, la vie qui s’y déroule, elle, est continue et mouvante, et rester en relation étroite avec les musiciens est important. Cela nous permet d’accompagner les orchestres et de tirer le meilleur parti de leur pratique. Il s'agit donc d'intervenir éventuellement sur des petits ajustements pour travailler à un meilleur confort des musiciens et un meilleur équilibre des pupitres, mais en aucun cas de réparer des points critiques ; la salle fonctionne. Il peut s'agir par exemple d'optimiser l'utilisation des gradins sur scène, de l'ajout d'un traitement absorbant derrière certains pupitres ou sur certaines parois proches.
Quel élément acoustique joue le rôle le plus important dans l’Auditorium ?
Si la morphologie et les proportions de la salle constituent le cœur de ce qui conditionne l’acoustique et l’expérience des spectateurs dans la conception de nos salles symphoniques (avant même qu’on n’ait pu entendre une note), la hauteur du plafond, et notamment au-dessus de la scène (avec le réflecteur suspendu ou canopée) est cruciale. C’est l’élément central qui permet d’atteindre les dimensions générales, la volumétrie globale ainsi que le positionnement par rapport à la scène et au public. Cela dit, toutes les autres surfaces dans la salle participent, à leur niveau, de l’acoustique globale ; certaines plus directement que d’autres.
L’Auditorium de Radio France aurait-il un cousin, un jumeau, parmi les salles élaborées par Nagata Acoustics ?
C’est une salle qui exemplifie l’un de nos objectifs, à savoir mêler l’intimité et l’immersivité, la grande clarté et la chaleur sonore. L’un des projets qui, pour moi, a une parenté conceptuelle, même si l’échelle et l’architecture diffèrent, serait la Philharmonie de Hambourg. Une salle beaucoup plus grande, certes, mais dont les similitudes avec l’Auditorium de Radio France sont à chercher dans une même verticalité. Comme les contraintes du site parisien empêchaient de « s’étaler » horizontalement, l’Auditorium s’est développé dans une verticalité exacerbée, avec des gradins qui ont pris la forme de balcons, par l’empreinte propre de la salle. On retrouve cela à la Philharmonie de Hambourg, avec cette impression que lorsque la salle est pleine, ce ne sont pas des parois qui la garnissent mais du public. Je pourrais aussi citer, dans cette notion de verticalité, la salle de musique de chambre du musée Isabella Gardner, à Boston. Antérieure à l’Auditorium de Radio France, elle est aussi beaucoup plus petite, très verticale, conçue comme un cube, dont la hauteur équivaut à la largeur et à la longueur. Elle empile aussi les balcons, un peu comme à la Maison de la Radio, et pousse encore plus loin le vice de maximiser les premiers rangs. Dans cette petite salle de Boston, hormis le parterre, tous les balcons ne comptent qu’un rang : aussi, tout le monde est en quelque sorte au premier rang. De mémoire, à Radio France, 25% des sièges sont des premiers rangs. C’est assez unique ! Ce n’était pas le but recherché, et ça n’arrive pour ainsi dire jamais, mais le design, les contraintes, les choix opérés ont amené cette réalité. Ainsi, même si on ne siège pas soi-même au premier rang, on n’est jamais loin d’un premier rang. Cela nous rapproche d’autant plus de la scène et du spectacle.
Vous ne citez pas l’Auditorium de Katowice en Pologne, siège de l’Orchestre national de la Radio polonaise, inauguré aussi en 2014, qui lui ressemble furieusement.
Un faux cousin. Conceptuellement, le point de départ se situe à l’opposé. La salle polonaise se développe sur le modèle d’un parallélépipède rectangle, autrement dit la forme, quasiment traditionnelle et historique, de la boîte à chaussures, mais légèrement transformée, de façon à ramener un peu de public autour de la scène. Ce qu’on a réussi à faire à l’Auditorium de Radio France par contrainte, la salle de Katowice le réalise par opposition au plan de base. Les points communs entre Paris et Katowice sont plutôt à chercher du côté du réflecteur (au demeurant, présent aussi à la Philharmonie à Paris, à Hambourg, Helsinki ou Copenhague), mais davantage dans les teintes de bois sombres utilisées. Nous avons la chance, pour chaque projet, d’être confronté à une page blanche, y compris dans un contexte de connaissance et d’expérience solide, toujours remises à l’épreuve par des nouvelles conditions. Notre responsabilité est de se fondre dans ce moule : une salle est avant tout l’œuvre d’un architecte, et notre présence doit se faire la plus discrète possible. Rien de pire que d’entrer dans un auditorium et se dire, avant même d’avoir vu ou entendu quoique ce soit : « ça c’est bien un truc de l’acousticien, ça n’a rien à avoir avec le reste ».