Racontez-nous la genèse de l’Auditorium de Radio France.
Architecturestudio fut, en décembre 2005, le cabinet choisi pour la réhabilitation de Radio France, dont la mise aux normes sécuritaires était devenue indispensable. La question de quitter la Maison de la Radio fut alors légitimement posée, en raison de l’ampleur des travaux à venir, mais le personnel et les syndicats manifestèrent leur attachement à ce bâtiment, amené, donc, à subir de profondes transformations. Pour autant à cette époque, la construction d’un nouvel auditorium au sein de Radio France n’était qu’une option dans le cahier des charges. Mais c’est une idée que Jean-Paul Cluzel, alors PDG de la maison, poussa puis imposa. Le « brief », alors, était simple : prévoir, dans le cadre de cette restructuration de Radio France, une salle philharmonique pour les formations de la maison, d’une jauge de 1450/1500 places, conçue avec l’acousticien Nagata et de préférence de type « boite à chaussures », c’est-à-dire un rectangle, où tout le public ferait face la scène. Le projet allait prendre un chemin différent.
Quel fut votre source d’inspiration pour cette nouvelle salle ?
Dès le départ, la structure de la Philharmonie de Berlin de Hans Scharoun nous était apparue, avec l’idée de placer la musique au cœur de la salle et de disperser des balcons autour de la scène. Cela, sans avoir rien résolu, simplement comme une image de référence. L’idée des trois essences de bois s’est imposée presque naturellement à la fin du processus de conception. Nous voulions une salle résolument contemporaine mais aussi donner le sentiment à chacun qu’elle avait toujours été là, comme une évidence. Pas de choc des cultures ! À la fois contemporaine, innovante, et inscrite dans cette famille d’espaces de la Maison de la Radio de façon naturelle.
Comment a-t-elle trouvé son emplacement au sein de Radio France ?
Notre première tâche fut de composer avec la combinaison des contraintes – murs des studios 102 et 103 d’alors, toiture du studio 104, que nous avons prolongée avec une verrière dans la nef et nécessité « d’accrocher » ce nouveau bâtiment entre la porte A et la porte F. Depuis le rez-de-chaussée, il était logique que le niveau du parterre de cette nouvelle salle se branche sur le hall, et la galerie à l’étage sur un balcon. Ainsi avons-nous commencé à organiser nos plateaux, l’envie de mieux accueillir le public entraînant la percée de la nef, cette rue intérieure à laquelle le nouvel auditorium allait se coller. Cela, sans perdre de vue l’objectif d’une scène capable d’accueillir un orchestre symphonique, 120 choristes, et d’organiser une jauge de 1450 personnes. Généralement, une salle de 1500 places atteint le double de volume.
De quelle façon concilier le geste visuel et les impératifs acoustiques ?
L’Auditorium, comme tous les studios moyens de Radio France, est une boîte dans la boîte. La boîte en béton extérieure isole des bruits aériens (avions, hélicoptères, bruits de la ville), la boîte en béton intérieure évite la transmission des bruits solidiens et des vibrations (métros, RER, voitures). L'ensemble de ces deux boîtes est posé sur des ressorts d’un mètre de haut, capables d’absorber toutes les vibrations acoustiques susceptibles de migrer vers l’intérieur de la salle. À cela, le cabinet Nagata fixa d’emblée quelques règles acoustiques, à savoir une hauteur précise de 14m50 entre le plancher de la scène et la canopée suspendue sous le plafond. Ainsi, lorsque tout s’empile, l’Auditorium revêt cette forme ovoïde dilatée qu’on lui connaît aujourd’hui, un peu carrossée comme une voiture. Pour la rendre la plus pure et propre possible, nous l’avons revêtue de panneaux en aluminium, lesquels tissent un lien naturel avec la Maison de la Radio, dont les façades sont, elles-aussi, recouvertes de panneaux d'aluminium – voilà pour l’harmonisation avec l’extérieur. Dans la salle, la vibration visuelle des lignes de bois, qui parcourent toute la salle, comme un ruban, de gauche à droite, rappelle les grands totems installés dans le hall et la galerie Seine. Nous avons conçu la salle comme si nous avions évidé une coque de noix, en la striant d’une modénature horizontale.
Quelles furent les autres contraintes fixées par le cabinet Nagata Acoustics ?
Une maquette au 1/10ème, réalisée par notre cabinet, permit de définir la géométrie des balcons, des parois, du parterre, du toit et du plafond. Mais il fallait chercher le récit, l’histoire, ce qu’on voulait que cette salle soit. À partir de notre maquette, et pour en vérifier le fonctionnement, Nagata réalisa un modèle 3 D acoustique, allant jusqu’à y introduire de l’azote pour réduire l’échelle de l’atmosphère, afin de réaliser les tests en réel, avec capteurs et émetteurs. De là naquirent des indications sur l’inclinaison des balcons, des parois verticales et sur la définition de la masse de ces parois. L’Auditorium comprend donc à la fois des masses réfléchissantes et des masses absorbantes (en tissu et en laine), qui se situent plutôt en fond de salle, dans la coursive côté hall, sur les fronts de balcon, au-dessous de la régie. Tout le reste, hormis les musiciens et le public, sont des surfaces réfléchissantes : elles devaient être de 50 kg au mètre carré pour les balcons et les parties verticales et de 120 kg au mètre carré pour la canopée et le plafond. On trouve de nombreux matériaux composites, comme ces panneaux de bois assemblés avec du sulfate de calcium, une sorte de plâtre recuit, plus dense que le plâtre, permettant d’obtenir la masse voulue dans des épaisseurs assez fines. Ils sont plaqués en merisier, en bouleau ou en hêtre (le plus clair). Par la suite, il nous fut demandé d’introduire partout des microreliefs : ce sont ces grandes stries irrégulières qu’on voit au plafond, sur les balcons, mais aussi sur les polycylindres, le long de la coursive. Ces creux et ces bosses concourent à l’esthétique de la salle, donnent l’impression visuellement que c’est une salle qui vibre, et leurs rainures de différentes tailles jouent un rôle essentiel dans le réfléchissement des ondes sonores émises à 360 degrés depuis la scène. Des rainures d’une seule taille auraient privilégié une seule fréquence. Aux oreilles de public, la variété de ces rainures assure le maximum de répercussion des fréquences.
Dix ans après l’ouverture de l’Auditorium, referiez-vous exactement le même bâtiment ?
Oui, sans hésitation. Finalement, cette salle s’est imposée à nous. En vertu de cette synthèse de la résolution des contraintes, je dirais même que c’est la seule salle qui était possible à cet endroit-là. Revenant régulièrement dans la salle, je suis toujours frappé par l’effet de surprise et d’émerveillement lorsqu’on franchit les portes depuis le hall. Même 10 ans après. C’est un plaisir d’avoir le sentiment d’être immergé dans un espace intime et ces différentes nuances de bois. Cette force est toujours là. L’Auditorium est probablement la seule salle au monde à faire en sorte que la distance entre le public le plus éloigné de la scène et le chef est de 17m seulement, pour une jauge de 1500 places. Les jeux de visions multiples entre les musiciens et le public qui en découlent procurent à la salle une grande théâtralité : on se voit. Quant au parcours, nous avions souhaité qu’il n’y ait que deux portes et une coursive, car des portes sont toujours bruyantes. Toute la circulation s’effectue par cette coursive, un espace absorbant feutré, par lequel on glisse ensuite dans la salle, via des ouïes, sans faire un bruit. Un défaut ? On entend tout. Le public doit être silencieux !