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Portrait de Rocío Cano Valiño

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Dessine-moi un son
Publié le mer 11/12/2024 - 10:30
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Rocío Cano Valiño - Photo : Demian Rudel Rey
Rocío Cano Valiño - Photo : Demian Rudel Rey
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Sa pièce Fanguyo, qui signifie enchevêtrement en argot argentin, sera à voir autant qu'à entendre. Quoi de plus logique venant d'une créatrice qui joue sur deux tableaux ? 

Rocío Cano Valiño possède une double formation de compositrice et d’architecte d’intérieur. « Je me consacre désormais exclusivement à la composition, tempère la musicienne, mais je ne laisse pas pour autant de côté l’architecture d’intérieur. J’ai par exemple récemment réalisé la scénographie et la 3D d’un opéra ». De son autre métier, la compositrice tire une conception quasi physique du son : « Les sons sont comme des objets qu’on peut manipuler. Quand je compose, il m’arrive de les dessiner. Je les sens dans la paume de mes mains quand je les entends ». 

Cette façon de faire corps avec la matière provient de son enfance à Buenos Aires. « Mon arrière-grand-père travaillait le bois, et avec mon grand-père, on aimait construire des objets le week-end. Je me souviens de son atelier, où j’entendais des sons de tourneuse fraiseuse et de perceuse. J’adorais ça ! ». Bien sûr, la musique tient également une place essentielle dans la famille Cano Valiño. Beaucoup de tango et de chansons sud-américaines, mais également du classique et de la musique contemporaine. À l’adolescence, Rocío Cano Valiño étudie ainsi la batterie, et ce qui constituait un hobby devient rapidement une vocation. Après des études auprès du compositeur Demian Rudel Rey (avec lequel elle a fondé l’Ensemble Orbis), elle complète son Master en composition au CNSMD de Lyon, puis à Graz auprès de Franck Bedrossian. Ce dernier se souvient d’une brillante élève : « J’ai tout de suite perçu chez Rocío une belle technique d’écriture et une formidable inventivité au niveau des timbres. Ses pièces assimilent de manière convaincante l’héritage de la musique spectrale et de la musique saturée, tout en insufflant un dynamisme et un sens rythmique, propres à sa culture argentine ». 

Si Rocío Cano Valiño habite en France depuis 2017, l’Argentine continue de nourrir son imaginaire musical. En témoignent des œuvres comme Khaínô et Okinamaro, respectivement inspirées par les écrivaines Alejandra Pizarnik et Silvina Ocampo. De même, le lunfardo (l’argot argentin) donne le titre à la présente création du festival Présences, Fanguyo (qui signifie en argot une situation « compliquée et enchevêtrée ») : « Le rythme est pour moi le fil conducteur de mon univers sonore, poursuit la compositrice. Les idées de glitch, bug et granulation sont cruciales dans mes œuvres.  Le bruit des machines m’inspire également tout particulièrement. Je travaille souvent à partir de microformes, des sons de quelques millisecondes à partir desquels je trace une grande forme musicale ». Dans une pièce électroacoustique comme Okno, Cano Valiño prend comme matériel d’origine des sons de mécanismes répétitifs et d’engrenages. Dans Colifa, pour basson (qui signifie « folle » en argot portègne), la compositrice offre l’image d’une machine qui s’allume et ne s’arrête jamais. Une pièce qui met la respiration du musicien à rude épreuve et hybride le basson jusqu’à parfois le faire sonner comme un saxophone ou un klaxon !  

Le titre Fanguyo (prononcer fangoucho) nous annonce donc un « enchevêtrement » complexe. Mais pas d’inquiétudes, Cano Valiño garde toujours une approche concrète de l’écriture musicale. Du contrebasson, la compositrice en aime tout d’abord la dimension physique : « Il s’agit d’un instrument très impressionnant visuellement. Rien qu’en le voyant, l’oreille écoute autrement. Les clés donnent un bruit très particulier et les notes graves évoquent des ondes. J’aime aussi le fait que l’instrument ne soit pas manufacturé. Chaque contrebasson est différent de l’autre. Avec Antoine Pecqueur, le soliste, nous avons exploré beaucoup de possibilités instrumentales musicales : les multiphoniques, les harmoniques, le slap… Le potentiel du contrebasson est absolument incroyable ! » 

À cette dimension corporelle du musicien soliste, avec laquelle la compositrice veut faire « toucher du doigt » le son aux auditeurs, s’ajoute un ensemble instrumental très caractérisé : « Certains pupitres de l’Ensemble Linéa Linea dirigé par Jean-Philippe Wurtz partagent la tessiture de l’instrument soliste. Le contrebasson est la “star” de la pièce mais il sera toujours placé dans des situations extrêmes, en ce qui concerne la rapidité, la production d’air ou les brusques changements de timbres. J’établis différentes stratégies de combinaisons entre le contrebasson et l’ensemble : parfois les deux seront symétriques, parfois ils seront en écho l’un de l’autre, ou traités comme deux entités complètement indépendantes. J’aime hybrider les sons, de façon qu’on ne sache plus de quels instruments ils proviennent. Enfin, et cela s’explique peut-être par ma formation d’architecte d’intérieur, le soliste se déplacera sur la scène afin d’entrer en contact avec les autres musiciens, à la manière d’une danse ». 

Il faut entendre Rocio Cano Valiño prononcer le nom de son concerto en en goûtant chaque syllabe. Fanguyo s’annonce comme une œuvre d’une grande originalité : une musique à voir et à entendre, portée par l’imagination débordante d’une compositrice parmi les plus prometteuses de la jeune génération. 

Laurent Vilarem 

Olga Neuwirth - Photo : Christophe Abramowitz

Titre
Festival Présences 2025