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Portrait de Matthias Pintscher

Publié le mer 11/12/2024 - 11:00
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Matthias Pintscher - Photo : Felix Broede
Matthias Pintscher - Photo : Felix Broede
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En juin 2023, il dirigeait son dernier concert à Paris à la tête de l'Ensemble intercontemporain. Durant dix ans, le compositeur et chef d'orchestre allemand tint en effet les rênes de la prestigieuse formation fondée par Pierre Boulez. Le voici de retour dans la capitale.

Après avoir quitté Paris et l’Ensemble intercontemporain, on savait que Pintscher allait prendre un nouveau départ. Qu’allait-il faire ? Se consacrer exclusivement à la composition ou poursuivre une carrière de chef invité auprès des meilleurs orchestres du monde ? Son choix fut celui de la confirmation : on apprenait qu’il devenait, en septembre 2024, le nouveau directeur musical du Kansas City Symphony. Un engagement qui put surprendre de prime abord, tant la formation du Midwest américain reste méconnue dans notre pays, mais une résolution qui s’avère riche de promesses. En prenant la tête de cette phalange américaine, Matthias Pintscher montre qu’il est désormais prêt pour assumer les charges les plus importantes en tant que chef d’orchestre. « Voilà maintenant 25 ans que je dirige, confiait-il, au moment de son départ, au magazine de l’Ensemble intercontemporain, et, sans fausse modestie, cela ne fait que deux ou trois ans que j’ai le sentiment de vraiment bien m’y prendre. Le processus d’apprentissage est si long. Et c’est tant mieux ! Mais plus j’avance, plus je découvre combien c’est difficile. On pourrait croire qu’avec davantage de bagage et de technique, tout serait plus simple. Dans les faits, l’expérience acquise ne donne qu’une envie : aspirer à davantage de raffinement – ce qui exige des efforts plus grands encore ». Nul doute que Pintscher ne révolutionne le répertoire de la formation du Kansas, en imaginant de nouveaux formats de concerts, en développant la création et en promouvant le dialogue avec les arts plastiques, comme il l’a fait avec l’Ensemble intercontemporain.

En réalité, on connaît Matthias Pintscher depuis longtemps à Paris. Dès 2003, il créait à Bastille son opéra L’Espace dernier d’après Rimbaud (son prochain ouvrage lyrique sera par ailleurs créé dans notre capitale) et on l’a d’abord applaudi en tant que compositeur. Mais en vérité, Pintscher a toujours été compositeur ET chef d’orchestre. Né en 1971, à Marl, dans le nord-ouest de l’Allemagne, le jeune homme apprend le piano puis le violon, avant de diriger l’orchestre de sa ville natale. Comme il l’affirme en 2020 dans un entretien à Télérama, la direction d’orchestre précéda même l’écriture musicale : « J'ai pu toucher une sonorité, la sculpter, sans rien savoir du métier ! Parce que le rapport au son me fascinait, j'ai voulu apprendre la composition. Il y avait, dans la bibliothèque locale, une quantité de partitions correspondant à la première partie du XXe siècle : Debussy, Ravel, Bartók, Schönberg... Je les ai dévorées ! Je me suis mis à composer ». Aujourd’hui, plus que jamais, Pintscher mène cette double carrière, à l’instar d’un Gustav Mahler d’aujourd’hui : chef d’orchestre l’année scolaire et compositeur durant l’été. Comme l’homme n’arrive à écrire que dans sa maison à New York (sur un vaste bureau de quatre mètres de long où il déploie ses pages de musique à la manière d’un peintre), son choix de revenir s’installer aux États-Unis est certainement lié à l’idée de se rapprocher de la composition.

Le festival Présences accueille donc le grand retour de Matthias Pintscher en France. Deux concerts à la tête de la Maîtrise, de l’Orchestre National de France et de l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui s’annoncent comme une vraie réunion de famille. En effet, Pintscher est incontestablement le chef qui connaît le mieux la musique d’Olga Neuwirth, vedette du festival. Les deux artistes se connaissent depuis près de trente ans, et l’Allemand a beaucoup joué les œuvres de l’Autrichienne avec l’Ensemble intercontemporain à Paris mais également dans le monde entier. En 2019, c’est ainsi lui qui créait l’opéra féministe radical Orlando, d’après Virginia Wolf, sous les ors de l’Opéra de Vienne. D’Olga, Matthias dit affectueusement, dans un entretien vidéo pour la Philharmonie de Paris : « Nous avons pratiquement le même âge. Souvent, je parle d’elle comme de ma grande sœur. À une époque, elle a vécu à Venise pour mieux marcher sur les pas de Luigi Nono, qui était un compositeur engagé politiquement. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’Olga transpose consciemment sa pensée politique dans sa musique ou qu’elle fait passer des messages politiques dans son œuvre. Mais son engagement est là, c’est certainement l’une des sources de son inspiration, un engagement qui insuffle une grande énergie à sa musique, celle d’il y a 20 ans comme celle d’aujourd’hui ».

Si Matthias évoque souvent Olga comme « sa grande sœur », Pierre Boulez serait certainement le père, ou tout du moins le mentor. Pintscher a rencontré le mythique auteur du Marteau sans maître dès sa jeunesse, et c’est bien sûr grâce au soutien de Boulez qu’il obtint le poste de directeur de l’Ensemble intercontemporain. Le concert du 8 février assemble ainsi deux des personnalités les plus chères au cœur de notre artiste, puisque Neuwirth propose la création d’un Tombeau écrit en hommage à Pierre Boulez. Le concert du 9 février, lui, dévoile une autre facette importante du musicien. Outre le Concerto pour trompette de Neuwirth, le programme présente un superbe programme de musique française. Certes, Matthias Pintscher vit aujourd’hui aux États-Unis, mais comme il le déclare sur le site du Kansas City Symphony: « Je n’irai pas jusqu’à dire que je m’identifie comme français, mais je me suis toujours senti très proche de la culture française, et ce à de nombreux niveaux : la langue, les arts, la gastronomie, l’architecture, la peinture ». Il précise ailleurs : « L’importance du soin porté au détail et la manière dont le détail impacte l’identité globale d’une pièce ou d’une interprétation sont un enseignement que je tiens de la culture française au sens large : si on zoome sur les détails d’une œuvre d’art ou d’architecture française, on comprend mieux l’aura du tout ». Lors de ce concert, Pintscher crée deux œuvres de maîtres français de notre époque : Tristan Murail et Éric Montalbetti. Si le compositeur ne dirige pas cette fois-ci ses propres pièces (en attendant peut-être un Présences où il sera la vedette ?), il revient aux origines de sa musique, avec ces deux soirées en forme de retour aux sources. Bienvenue à la Maison (de la Radio et de la Musique), cher Matthias !

Laurent Vilarem

Olga Neuwirth - Photo : Christophe Abramowitz

Titre
Festival Présences 2025