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Olga Neuwirth, la force intranquille

Publié le mer 11/12/2024 - 10:15
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Olga Neuwirth - Photo : Christophe Abramowitz
Olga Neuwirth - Photo : Christophe Abramowitz
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Sur quoi se fonde l'hyper expressivité, sinon la radicalité, de la musique de l'autrichienne ? Voici quelques clés pour mieux appréhender son œuvre.

Musicienne de l’hybridation et de l’hétérogène, Olga Neuwirth n’envisage la composition qu’en interaction avec d’autres arts ou avec les sciences. À ce besoin d’interdisciplinarité, elle ajoute des allusions à des musiques préexistantes, des pastiches et citations. En les confrontant à son propre matériau, elle questionne la tradition qu’elle parodie, déforme ou érode. L’hétérogénéité traduit une traversée de l’histoire, transpose la façon dont l’être humain se souvient de ses propres expériences, parfois pour éclairer la violence et l’absurdité du monde, comme dans Eleanor-Suite, Trurliade – Zone Zero ou Keyframes for a Hippogriff. Artiste en colère, la compositrice souligne cependant les limites de son engagement : « Je ne veux imposer de leçon à personne, mais seulement rappeler au travers de ma musique la douleur et la délicatesse qui entourent le monde, ce qui est trouble dans l’espace public, ce qui est vain dans la vie des hommes. »

Elle intrigue et captive par la création de timbres inouïs dont on peine à distinguer l’identité. Cette incertitude découle en grande partie des modes de jeu et techniques électroniques qui métamorphosent les sonorités familières (celles du piano d’incidendo/fluido, par exemple). On comprend la fascination d’Olga Neuwirth pour Klaus Nomi, voix androgyne dans un corps désincarné. Si l’ambiguïté est inhérente à la fluidité de genre, elle est aussi, dans certaines situations, génératrice d’effroi. Dans l’opéra-vidéo Lost Highway, inspiré du film de David Lynch, le personnage principal doute de son identité et voit revenir sous forme de fantasmes les personnes qu’il a jadis connues. Des partitions comme Vampyrotheone (référence à la pieuvre vorace inventée par Vilém Flusser et Louis Bec) et in the realms of the unreal (d’après l’œuvre littéraire et picturale de Henry Darger) cultivent aussi l’ambiguïté entre le réel et le surnaturel.

Dans la musique, « tout comme au cinéma, on peut rassembler plusieurs niveaux simultanément », souligne cette virtuose du montage qui aime à transposer des effets de zoom, travelling, fondu enchaîné ou flash-back. De façon plus générale, elle réfléchit à l’articulation du temps et de l’espace, ce dont témoigne en particulier Le Encantadas, d’après Herman Melville : dans cette œuvre pour ensemble et électronique, elle reconstruit l’acoustique de l’église San Lorenzo de Venise (lieu de la création du Prometeo de Nono qui l’a tant marquée), sculptant, grâce à la technologie, des espaces hybrides à mi-chemin entre le réel et le virtuel.

Mais l’espace peut devenir aliénant, à l’image des fréquentes notes pédales qui, loin de donner une sensation de stabilité, bloquent le mouvement. L’énergie rythmique et les boucles qui ne mènent nulle part deviennent l’expression d’un monde chaotique, figé sur une vision tout aussi oppressante. Les soubresauts, les ruptures et la rugosité des textures donnent le sentiment d’une catastrophe inéluctable – souvent avec un humour grinçant. Plusieurs titres comportent une barre oblique, signe de confrontation, de cassure. D’autres contiennent trois points (locus … doublure … solus), suggérant un secret à découvrir, un événement à venir qui, peut-être, émergera du royaume de l’irréel.

Hélène Cao

Olga Neuwirth - Photo : Christophe Abramowitz

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Festival Présences 2025