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L'air et la matière
Il arrive que l'organiste se sente seul. Aussi, pourquoi ne pas envisager quelques duos insolites ?
L’écho des cloches aurait-il donné à l’orgue l’envie de dialoguer avec les percussions ? Il disposait pourtant déjà du nécessaire, avec son jeu cymbales constitué de plusieurs rangs de tuyaux sonnant ensemble, selon le procédé des mixtures, ou souvent doté en Espagne d’un tambor fait de tuyaux désaccordés pour accompagner le récit des trompettes. Mais ces timbres, quand bien même ils lui auraient permis de rivaliser avec l’orchestre, n’avaient des instruments originels que l’appellation et l’impression qu’ils offraient, puisque rien n’était finalement frappé. Il revint donc à l’orgue de cinéma de s’enrichir de toutes sortes d’accessoires pour faire entendre les bruits de l’image. À la fin des années 1920, le spectateur du Clichy Palace pouvait assister au concert de grosse caisse, tambour, cymbale, wood-block, carillon à tube et gong, sans oublier les effets de sifflet ou de diverses sirènes. Au cinéma de la Madeleine, un autre orgue était non seulement muni d’un carillon d’église, d’un xylophone et d’un glockenspiel, mais aussi de clochettes de traîneau, de sabots de cheval, de gong d’incendie et de sonnerie de porte. Listes non exhaustives évidemment. Des fantaisies peu pieuses ont stimulé les facteurs au sein même des édifices sacrés. Certes, l’orgue Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Denis ne fut pas agrémenté des comptoirs à jouets et bruits de coulisses familiers dans les salles noires, mais il ne profita pas moins de l’ajout d’un jeu de grêle pour accompagner les colères célestes et leurs terrifiantes tempêtes – une grêle produite par la chute des graviers sur une peau de tambour tendue à l’extrémité d’un tube métallique en mouvement ; on a parfois reproché à l’organiste de prétendre condamner ses collègues de l’orchestre au chômage, mais sans doute le geste humain aurait-il vraiment pu se voir remplacé par les percussions mécanisées, puisque celles-ci affirmaient faire entendre les sentences divines.
Le duo d’orgue et de percussions célèbre le mariage du souffle et de la matière, de l’air et du solide. Deux personnages qui n’ont rien de commun mais s’accordent parfaitement. Trompettes et timbales ayant toujours joué ensemble, dans les symphonies comme dans les sonneries militaires, il est bien naturel que les anches de l’orgue se sentent parfois seules. Et ce sont alors les musiques d’ailleurs qui ont inspiré les compositeurs. De Lou Harrison, le Concerto pour orgue avec percussions (1973) évoque à la fois l’orgue à bouche oriental et les gamelans balinais découverts grâce aux enregistrements et à un concert au pavillon des Indes
néerlandaises, lors de la Golden Gate International Exposition de 1939. D’Elsa Barraine, la Musique rituelle (1967) puise aux sources tibétaines du Livre des morts. Quant au compositeur tchèque Petr Eben, habitué à combiner l’orgue avec toutes sortes d’instruments, voici comment il décrit le duo de ses Paysages de Patmos : « La combinaison de l’orgue et de la percussion fait partie de ces ensembles où l’orgue peut déployer toute sa richesse sonore,
sans restriction sur les registres doux. En m’imaginant l’effet sonore de cette combinaison, une atmosphère tout à la fois festive et dramatique me vint à l’esprit, laquelle, à son tour,
me conduisit vers l’Apocalypse. »
Finalement, il y a peut-être une parenté plus subtile entre l’orgue et les percussions. Face à l’instrument d’église, on ne peut oublier que les peaux et les métallophones se sont faits les instruments des rituels, scandant les cérémonies de formules obsessionnelles pour guider les fidèles sur les chemins de la transe. Formée successivement aux conservatoires de Tokyo et de Paris, la Japonaise Rikako Watanabe aura sans doute ses racines en tête au moment de
nous faire entendre sa nouvelle pièce pour orgue et percussion, puisque c’est bien de l’Est que semblaient provenir les précédentes créations organistiques qui nous avaient entraînées vers un Jardin de pierre ou dans les Trois rêves de la quinzième nuit de la Lune. Quant à Thomas Lacôte, soyons sûr que La nuit sera calme en sa compagnie, et que son imaginaire sera tout aussi lointain car onirique. Nous faire rêver serait alors le véritable pouvoir de l’improbable
union de l’air et de la matière.
François-Gildas Tual
· 87 jeux
· 5 320 tuyaux : jeux de 1 pied à 32 pieds. De 1 cm à plus de 8 mètres
· 12 mètres de haut / 12 mètres de large / poids : 30 tonnes environ.
· 2 consoles, une fixe en fenêtre à commandes mécaniques et une mobile disposée sur scène à commandes électriques proportionnelles (toucher sensitif).
· Consoles de 4 claviers de 61 notes (os et ébène) et pédalier de 32 marches (chêne).
· Les 2 consoles peuvent être jouées ensemble (à deux organistes)
· 7 plans sonores : Grand orgue / Récit expressif / Positif expressif / Solo expressif / Solo haute pression expressif / Chamade / Pédalier
· Effets sonores prévus : Vent à pression variable pour le Positif, cymbale transpositrice, communication entre boîtes expressives (Récit et Positif), Coupure Pédale ajustable, etc.
· Matériaux utilisés : bois (chêne et épicéa), étain, plomb, laiton et peau d'agneau.