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Fauré visait vos classiques 

Publié le jeu 23/05/2024 - 15:15
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Gabriel Fauré - Photo : DR
Gabriel Fauré - Photo : DR
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À l’heure où on fête les cent ans de sa disparition, Gabriel Fauré reste cet illustre inconnu, dont une large partie de l'œuvre (à l’exception bien sûr du Requiem) est trop peu jouée et méconnue du grand public.  

Gabriel Fauré est l’homme des paradoxes. On fait de lui le musicien des salons aristocratiques de la Belle Époque, il est fils d'instituteur ariégeois. Fauré croule sous les postes officiels (directeur du Conservatoire de Paris, organiste titulaire à la prestigieuse Église de la Madeleine) ; en réalité, il lui faut attendre l’âge de cinquante ans pour que sa carrière décolle. Son parcours est des plus atypiques : il étudie à l’école Niedermeyer pour devenir maître de chapelle et loin du chemin tout tracé du Conservatoire de Paris, des années de galère commencent. En 1887, il compose un Requiem « pour son plaisir », ce qui lui vaudra cette réaction du curé de l’église pour laquelle il travaillait : « Monsieur Fauré, nous n’avons pas besoin de toutes ces nouveautés : le répertoire de La Madeleine est bien assez riche, contentez-vous en! ». Sourd dès 1903, il devient critique au Figaro puis tente l’aventure du grand opéra avec Pénélope, en 1913, qui sera un échec. La fin de sa vie, il compose des pièces crépusculaires, largement incomprises de son vivant, mais reçoit des funérailles nationales à sa mort en 1924.  

Pour définir Fauré, on serait tenté tout d’abord de préciser ce qu’il n’est pas. Il n’est ni un Saint-Saëns ancré dans le XIXe siècle, ni un Debussy qui ouvre les voies du XXe. Le compositeur représente en effet un point de bascule dans l’histoire de la musique française. L’image d’un compositeur « centriste » que le compositeur Bruno Mantovani réfute avec force : « On appréhende souvent Fauré comme un musicien extrêmement polissé et académique. Or, pour moi c’est le contraire absolu, Fauré est un compositeur dont on reconnaît le style dès la troisième note ». La cheffe Laurence Equilbey (qui dirige le Requiem depuis le début de sa carrière) surenchérit dans l’éloge : « Outre son œuvre pour piano qui est majeure, je retiens son génie harmonique. Fauré a influencé des générations de compositeurs et compositrices dont Lili Boulanger et Maurice Ravel. » 

On attribue parfois la difficulté d’écoute de la musique de Fauré à sa complexité harmonique. Bruno Mantovani y voit précisément l’apport majeur du compositeur : « Fauré est un novateur radical. Sa manière de nous perdre dans un flux harmonique continu est unique parmi les compositeurs. Bien sûr, une musique avec des développements aussi subtils demande beaucoup de concentration à l’heure de nos téléphones portables, mais écoutez son premier quatuor avec piano, l’œuvre séduit immédiatement ! ». En 2022, le ténor Cyrille Dubois faisait paraître une intégrale très remarquée des mélodies (label Aparté). Si, dans sa jeunesse, la musique lui paraissait difficile à déchiffrer, le chanteur savoure désormais l’évolution du langage du compositeur : « Les personnes qui auront les codes de la mélodie trouveront certes plus facilement leur chemin mais il ne faut pas avoir peur de franchir le pas vers cet univers. Prenez la mélodie Après un rêve, c’est comme une caresse en musique. »    

D’un côté, une production de mélodies, voire de piano, largement méconnue, de l’autre une poignée de petites pièces (Pavane, Sicilienne) connues bien au-delà des concerts classiques. Et puis, il y a le Requiem, véritable monolithe dans l’œuvre de Fauré et chef-d’œuvre absolu de la musique sacrée. « On dit que Beethoven a écrit des mélodies pour l’humanité, poursuit Laurence Equilbey, c’est également le cas de Fauré ! Dans son Requiem, son langage harmonique se fait plus simple car il destinait les parties vocales à un chœur amateur. Le génie mélodique de Fauré y apparaît dans toute sa simplicité. Mais au-delà, son éventail expressif est très large, qu’il s’agisse de l'Élégie ou de Clair de Lune. Sa musique touche des sentiments universels ». Concernant les mélodies, Cyrille Dubois a conscience du caractère suranné du genre, mais trouve une image frappante pour rapprocher ces pièces de notre époque : « J’associerai volontiers Fauré aux grands chansonniers comme Jacques Brel ou Georges Brassens, notamment par la fusion du texte et de la musique ».   

Invité par France Musique, à l’occasion de la parution de son intégrale discographique de l’œuvre pour piano (Sony), Lucas Debargue affirme, dans La Matinale, que les dernières Barcarolles sont « une musique de feu, de sang et de sueur », à mille lieux des premières de pièces de jeunesse. Le pianiste évoque lui-aussi une découverte progressive (et de plus en plus émerveillée) de la musique de Fauré.   

L’univers du compositeur ariégeois ne se laisse donc pas appréhender dès le premier abord. Profonde et complexe, son œuvre demande un effort de compréhension avant de procurer d’immenses satisfactions personnelles. Laissons la parole à deux amoureux de la musique de Fauré. Si Cyrille Dubois évoque un univers de félicité (« une fois qu’on a son langage ancré en soi, c’est une musique qui rend heureux »), Laurence Equilbey choisit « In Paradisum » qui conclut le Requiem : « On est dans le pur génie fauréen. Sur un continuum d’orgue en double croches, se déploie une mélodie très simple, proche du chant grégorien, le tout dans un orchestration transparente, car il faut répéter que Fauré était un immense orchestrateur. En quelques minutes, Fauré invente l’apesanteur en musique ». Cent ans après sa disparition, la musique de Gabriel Fauré nous emmène au septième ciel.  

Laurent Vilarem  

Gabriel Fauré - Portrait par John Singer Sargent

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Anniversaire Gabriel Fauré

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Ravel et l’ombre de Fauré 
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Entendre, en 2024, une création mondiale de Maurice Ravel, c’est encore possible, et c’est le Festival de Radio France Occitanie Montpellier qui fera revivre Chanson galante le 9 juillet, portée par le Chœur de Radio France et Les Siècles dirigés par François-Xavier Roth. Ce manuscrit inédit, inconnu des biographes du compositeur et absent de tout catalogue, resurgit mystérieusement en septembre 2023, dans une librairie parisienne, plus de vingt ans après une vente à l’Hôtel Drouot. Chanson galante est typique de la période pendant laquelle Ravel prépare le concours du Prix de Rome, auquel il échoua à cinq reprises, entre 1900 et 1905. C’est une page assez courte (moins de 5 minutes) basée sur un poème d’Armand Silvestre (1837-1901), peut-être signalé à Ravel par Gabriel Fauré, son professeur au Conservatoire, qui avait mis en musique plusieurs textes de cet auteur. L’influence de Fauré est d’ailleurs perceptible, tout comme celle du Debussy de Sirènes. « Le manuscrit a aujourd’hui rejoint les riches collections de la BnF. Noté sur 18 pages, il est non signé mais pourvu de deux monogrammes du compositeur. Ravel y a repassé à l’encre une esquisse préalable au crayon, qui reste visible à certains endroits » note Mathias Auclair, directeur du département de la Musique de la Bibliothèque Nationale de France. « Le fait que cette première audition ait lieu au Festival Radio France de Montpellier est tout sauf un hasard, tant ce festival a démontré durant toutes ces années son incroyable attention portée aux raretés de tout genre » poursuit François-Xavier Roth.