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Étoiles et toiles
En un week-end, le National, le Philhar et le Chœur fêtent la musique du plus grand compositeur français de musiques de film. Georges Delerue aurait eu cent ans.
Rendu célèbre par sa fidèle collaboration avec François Truffaut et par sa fameuse partition du Mépris de Jean-Luc Godard, Georges Delerue, né le 12 mars 1925 à Roubaix, est un fleuron de l’école française qui fit les beaux jours du cinéma français des années 1960-70. Compositeur lyrique, fin mélodiste, Delerue, après de très sérieuses études au Conservatoire de Roubaix, plonge dans la musique de film à la fin des années 1950, en travaillant d’abord pour des court-métrages d’Agnès Varda ou de Georges Franju. Mais sa rencontre avec François Truffaut sur Tirez sur le pianiste (1960) marque le vrai début d’une trajectoire magnifique qui le verra s’installer à Los Angeles, à la fin des années 1970, époque où il remporte un Oscar pour une musique un peu oubliée aujourd’hui, celle de I Love You je t’aime de George Roy Hill.
Si sa carrière hollywoodienne, ponctuée par des collaborations avec John Huston, Mike Nichols George Cukor ou encore Oliver Stone, est passionnante, c’est tout de même en France qu’il adonné quelques unes de ses meilleures partitions. Avec Truffaut, il atteint des sommets de lyrisme dans Jules et Jim, Les Deux Anglaises et le Continent ou dans La Femme d’à côté, et son allègre Grand Choral, très XVIIIe siècle, composé pour La Nuit américaine est resté dans toutes les mémoires. Mais le cinéaste avec lequel il a finalement formé le duo le plus durable, s’appelle Philippe De Broca, un des représentants les plus crédibles du cinéma populaire français. Les musiques de Cartouche, de L’Homme de Rio, du Roi de cœur ou, encore, dans un registre plus mélancolique, de Chère Louise, font partie des partitions marquantes de ce compositeur décidément très français. Sans oublier les chansons qu’il a composées pour Viva Maria de Louis Malle ou pour les films d’Henri Colpi –Trois petites notes de musique dans Une aussi longue absence ou Heureux qui comme Ulysse, tiré du film éponyme, interprétée par Georges Brassens.
Réputé pour ses couleurs douces et chaudes, et son sens élégiaque de la mélodie, Georges Delerue a parfois surpris son monde en s’aventurant dans le monde de la dissonance. C’est le cas dans L’Important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski, une de ses musiques les plus puissantes, ponctuée de stridences spectaculaires, mais davantage encore dans Police Python 357, polar melvillien d’Alain Corneau, ou dans les méconnus Quelque part quelqu’un et Jamais plus toujours de Yannick Bellon. Autant de films marqués par l’usage de chœurs étranges et de cordes inquiétantes, bien loin de l’image rassurante véhiculée parfois par les suaves humeurs de Georges Delerue.
À la tête d’une œuvre énorme, Delerue, disparu trop tôt en 1992, a su incarner, pendant une bonne trentaine d’années, la musique de film dans tous ses états. Sa disco-filmographie est considérable, et il n’est pas rare que l’amateur éclairé y découvre de nouvelles richesses, comme par exemple dans la très belle partition de L’Insoumis d’Alain Cavalier, ou dans celle de Classes tous risques, le premier long-métrage de Claude Sautet. Au total, Georges Delerue est sans doute, de tous les grands compositeurs de cinéma de sa génération, celui dont les musiques ont marqué le plus durablement l’imaginaire collectif des spectateurs et des spectatrices (les 11 et 12 avril).
Thierry Jousse