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Son historique de navigation, le jour d’un concert

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Rencontre avec Christophe Dilys de France Musique

Publié le lun 27/05/2024 - 16:15
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Christophe Dilys - Photo : Christophe Abramowitz
Christophe Dilys - Photo : Christophe Abramowitz
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En juillet et en août, il vous détaille, chaque jour sur France Musique son Agenda de l’été. Pour l’occasion, il s’est prêté à l’exercice, un peu baroque, de l’autoportrait. 

Il y a pléthore de méthodes pour mieux connaître quelqu’un : « Dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui tu es » disait Victor Hugo. « Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es », anticipait Miguel De Cervantes. Et, bien sûr, plane au-dessus le facétieux « dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es, il est vrai… mais je te connaîtrai mieux si tu me dis ce que tu relis » de François Mauriac. Mais peut-être que, de nos jours, un bon vieux coup d'œil à l’historique de navigation Internet nous donne un aperçu plus honnête, et certainement plus amusant, de la personnalité de tout un chacun. Plongée dans les recherches internet de Christophe Dilys, chroniqueur à France Musique (Tendez l’oreille, le samedi matin à 8h30), le jour d’une présentation de concert. 

Nous y voyons à 9h06 un site du nom de jstor.org. 

Oui (et non pas à 9h00 : j’ai besoin de mes 6 minutes de café). JSTOR est un site qui accueille plusieurs milliers d’articles universitaires et archives. C’est là que j’y trouve le « petit plus » pour mes présentations de concert : une fois la carte d’identité basique de l'œuvre faite, il me paraît indispensable d’effectuer ce petit pas en plus vers les détails spécialisés. À l’heure où il est possible, en quelques secondes, de savoir par soi-même qu’une œuvre a été créée en telle année, par tel orchestre, devant un parterre de spectateurs furieux ou ravis, nous avons cette obligation d’aller plus loin avec des détails tout aussi intéressants (contexte historique, politique, presse de l’époque, analyse de détails musicaux, spécificités musicales). Bref, tout ce qui peut, à première vue, intéresser surtout les étudiants. 

… d’où le imslp.org à 11h04. 

Exactement ! Il s’agit d’un site de partitions. En 15 secondes, vous pouvez passer de « est-ce que le compositeur a réellement écrit ça ? » à « effectivement, c’est présent dans son manuscrit de 1629 ». Vous parlez différemment d’une œuvre lorsque vous avez regardé la partition : vous vous apercevez du foisonnement de l’orchestration, de la virtuosité de tel passage, du côté épuré du mouvement lent, etc. Cela vous donne des indications sur les difficultés et les facilités de l'œuvre, ce qui peut aussi être intéressant à dire aux auditeurs. 

Je me permets de signaler aux lecteurs la présence d’un site gênant. Puis-je le dire ? 

Ouhla. Il me semblait avoir bien tout enlevé, pourtant… 

Je veux parler de Wikipédia, à 19h52. 

Ah ouf ! Oui… mais ce n’est plus trop gênant à l’heure actuelle. J’avais besoin de faire une rapide vérification sur l’indication de tempo du deuxième mouvement. Nous recevons quelquefois du courrier d’auditeurs qui mentionne Wikipédia avec énervement. Déjà, il est rare que nous nous en servions, lorsqu’on a des choses de fond à dire, mais surtout : beaucoup de pages sont modérées par des gens qui savent de quoi ils parlent. Les pages sur la musique médiévale, par exemple, sont extrêmement bien documentées et sourcées. Se moquer de Wikipédia, de nos jours, est moins justifié : depuis quelques années, le travail de modération et l’exigence concernant les sources augmentent largement la fiabilité du site. Le problème serait de n’utiliser que ça. 

Et YouTube, alors, à 15h18 ? 

Encore une fois, les sites les plus fréquentés… ne sont pas les plus vulgaires. Il arrive, de temps en temps, de devoir présenter un concert par des artistes ayant déjà joué ce programme en concert sans l’avoir gravé au disque : si, par chance, il existe des vidéos de ces artistes, elles seront sur YouTube, et cela pourra aider à rendre la présentation plus vivante que de rendre compte de certaines particularités d’interprétation. Depuis quelque temps, je m’aperçois avec plaisir de l’existence, sur YouTube, de vidéos qui font défiler la partition en même temps qu'elles font entendre la musique : je peux y passer des heures ! 

Donc tout passe par internet ? 

De plus en plus, mais ne nous méprenons pas : c’est que beaucoup de sources, écrites et livresques, sont maintenant accessibles en ligne. J’ai eu énormément de plaisir à hanter les bibliothèques durant mes années de musicologie, mais j’ai tout autant de plaisir à travailler rapidement, en circulant dans ces mêmes livres avec des outils de navigation plus instantanés. Cela me permet de préparer des présentations de concert plus étayés. 

Tout cela est-il lié à votre philosophie de la prise de micro ? 

C’est peut-être mon activité de musicien qui m’influence, mais dans tous les cas, oui : je tiens à intéresser tout le monde aux détails les plus spécialisés, que ce soit dans mes présentations de concert que dans mes chroniques, et ces recherches me permettent de voir des vidéos, de lire des livres, de consulter des avis de spécialistes à l’autre bout du monde. Nous n’avons plus le droit de prendre la parole pour ne donner uniquement que du contenu facilement trouvable par les auditeurs. C’est une période excitante pour les amoureux du détail historique ! 

Propos recueillis par Christophe Dilys