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Charlot donne le LA
L’icône planétaire, qui a su parler au cœur de tous les Hommes, revit dans un conte pour enfants, Charlie Chaplin, Le Petit vagabond. Savait-on qu'il était lui-même compositeur ?
Nous avons tous notre Charlie Chaplin. Pour certains, il était le « Tramp », dont on raconte qu’il est arrivé troisième à un concours de sosies… de Chaplin (!) ; pour d’autres, il était davantage un acteur vieillissant, plus riche que le président des États-Unis, qui avait fini par accepter en rechignant la venue du son dans le cinéma. Pour tous, il représentait le self made man à l’américaine (sans pourtant jamais obtenir la nationalité, en raison de soupçons de communisme après la sortie des Temps Modernes), parti d’une enfance dans la pauvreté pour
se hisser au rang d’icône planétaire, grâce à une volonté de contrôler tous les paramètres artistiques de ses œuvres. Charlie Chaplin acteur ? Oui, c’est bien connu. Charlie Chaplin scénariste, réalisateur et monteur ? Ce sont effectivement « ses » films, oui. Charlie Chaplin compositeur ? Il paraît. Pourtant, la rumeur dit qu’il ne savait pas lire la musique, et qu’il devait siffler ses mélodies à un orchestrateur, chargé ensuite de rendre ses idées jouables par l’orchestre.
Pour une fois, la légende urbaine dit vrai. Nous le savons par son orchestrateur lui-même, Meredith Willson, qui a expliqué au compositeur David Raksin la façon dont il travaillait avec Chaplin. « Je sais que vous allez rendre très clair dans votre article que Charlie était un homme brillant et très créatif. Il entrait dans le studio de travail qu’on m’attribuait, et il avait des idées à me suggérer, des mélodies. Après, il me laissait tranquille. Et quand il revenait me voir, je pouvais lui montrer ce que j’avais fait, et très souvent, il avait d’excellentes suggestions à faire. Il aimait bien faire comme s’il connaissait la musique plus qu’il ne la connaissait vraiment, mais en réalité ses idées étaient très bonnes. »
En dates et en titres
L’arrivée du son dans les films marque la fin de l’ère du cinéma muet. Charlie, hésitant, se rend finalement compte que cela lui donne une nouvelle plateforme pour mettre en valeur la diversité de ses talents. À partir de L’Opinion publique, en 1923, il commence à être déjà beaucoup plus regardant sur l’accompagnement musical de ses films en salle. Avec l’ajout de la musique au cinéma, il peut enfin commencer à composer ses propres musiques. Détail moins connu : à partir des Lumières de la ville, en 1931, Chaplin composera certes la musique de tous ses films, mais reviendra également sur ceux de la période muette.
Quelles influences ?
« Tout à coup, il y a eu de la musique. Enthousiasme ! s’écrit Charlie Chaplin dans son autobiographie parue en 1964. Elle venait du vestibule du pub White Hart Corner et résonnait brillamment sur la place vide. La chanson était The Honeysuckle and the Bee, jouée avec une virtuosité rayonnante à l’harmonium et à la clarinette. Je n’avais jamais été aussi conscient de la mélodie auparavant, mais celle-ci était belle et lyrique, si joyeuse et si gaie, si chaleureuse et rassurante. J’ai oublié mon désespoir et j’ai traversé la route jusqu’à l’endroit où se trouvaient les musiciens. C’est là que j’ai découvert la musique pour la première fois, ou que j’ai appris pour la première fois sa rare beauté, une beauté qui m’a réjoui et m’a hanté à partir de ce moment. »
L’amour de la musique légère lui vient de son enfance à portée d’oreilles du music-hall (ses deux parents, Hannah et Charles, étaient des chanteurs réputés et en permanence sur les planches de toute l’Angleterre). En 1898, à l’âge de 9 ans, Charlie débute sa propre carrière dans le music-hall anglais, avec une troupe de jeunes danseurs, The Eight Lancashire Lads. C’est en qualité d’interprète (danseur et violoncelliste) que Charlie Chaplin obtient son ticket de sortie d’Angleterre, et son cercle géographique s’élargit aussi vite que son cercle social : Debussy demande à le rencontrer à Paris, Rachmaninov, Schoenberg, Horowitz et Hanns Eisler le fréquentent, et il fera même des improvisations à quatre mains avec Germaine Tailleferre.
Charlie Chaplin, ou le contrôle de la plume
« Ce qui m’a plu avec l’arrivée du son au cinéma, poursuit Charlie Chaplin dans son autobiographie, c’est que je pouvais enfin contrôler la musique. J’ai essayé de composer une musique élégante et romantique pour mes comédies, en contraste avec le personnage de vagabond, car la musique élégante donnait à mes comédies une dimension émotionnelle.
Les arrangeurs l’ont rarement compris. Ils voulaient que la musique soit drôle. Mais j’expliquais que je ne voulais pas de surenchère, je voulais que la musique soit un contrepoint de gravité et de charme, qu’elle exprime un sentiment sans lequel l’œuvre d’art serait incomplète. »
C’est là que le concept de « Charlie Chaplin compositeur » trouve ses limites. Au moment de la sortie des Lumières de la ville, le public a levé un peu le sourcil (selon le témoignage de Theodore Huff, un des biographes de Chaplin) : en voyant « musique composée par Charles Chapli » à l’écran, la foule a tout de suite pensé que Chaplin avait exagéré son rôle pour faire comprendre qu’il était responsable d’absolument tout dans le film. Et la foule a eu raison : Chaplin a toujours fait appel à un autre compositeur. Dans le cas des Lumières de la ville, il s’agissait d’Arthur Johnston. Dans Le Dictateur, il s’agissait de Meredith Willson. David Raksin, le compositeur de Laura en 1944, l’a aidé pour Les Temps Modernes, et tient à préciser que Chaplin n’a jamais cédé à la facilité consistant à imposer une mélodie et à disparaître avant la fin du processus. Une fois qu’il a laissé assez de temps au compositeur pour s’approprier le thème, Chaplin l’invite à passer des jours entiers dans la salle de projection pour un travail en tandem : il a surtout besoin de la science musicale de ses collègues musiciens pour pouvoir développer les idées musicales sur un temps correspondant à l’action du film.
Notons ceci pour terminer : si Charlie Chaplin n’a pas toujours (bel euphémisme) crédité ses collègues compositeurs au générique, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui également, nous ne retenons qu’un seul nom de compositeur au générique des films.
Alors qu’il n’est jamais seul…
Christophe Dilys
Le Kid (1921, musique composée a posteriori en 1971)
Charlot et le Masque de fer ; (1921, musique de 1971)
Pay Day (1922, musique de 1971)
L’Opinion publique (1923, musique de 1976)
La Ruée vers l’or (1925, musique de 1942)
Le Cirque (1928, musique de 1969)
Et à partir des Lumières de la ville, il compose la musique directement :
Les Lumières de la ville (1931)
Les Temps modernes (1936)
Le Dictateur (1940)
Monsieur Verdoux (1947)
Les Feux de la rampe (1952)
Un Roi à New York (1957)
La Comtesse de Hong Kong (1967)