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Rufus & Cie

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Ceci n’est pas du cross over

Publié le jeu 23/05/2024 - 15:15
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Rufus Wainwright - Photo : V. Tony Hauser
Rufus Wainwright - Photo : V. Tony Hauser
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Ils sont quelques-uns, venus de la chanson ou de la pop, à s’être essayé à l’opéra et à l’oratorio. Après Paul McCartney et Gilbert Bécaud, l’Américain Rufus Wainwright nous livre un Dream Requiem, donné en création mondiale, qu’illuminera la présence de Meryl Streep. 

Il y a tout d’abord ceux qui se souviennent des musiques de leurs amours, Guétary tournant et retournant la Valse des regrets de Brahms, Mouloudji gagné par l’albinonienne nostalgie d’un Adagio sur le pont Caulaincourt. Et puis il y a ceux qui voient grand, se rêvent déjà classiques en troquant guitares, claviers et batteries avec l’orchestre. En 1998, tandis que Serge Lama se la joue symphonique à l’Olympia, Dave transforme New York en Lutèce et prête d’improbables paroles à la Symphonie du Nouveau monde de Dvořak. Rien d’étonnant, dans la mesure où la mélodie de Vanina trouve ses origines dans le Concerto pour violon de Stravinsky, et où Nana Mouskouri a fait de même dix ans plus tôt. Si leurs deux albums sont sobrement intitulés Classique, le cas de la chanteuse grecque est différent ; renvoyée du conservatoire pour avoir trop apprécié le jazz et les musiques traditionnelles, elle a gardé en mémoire ce que lui a dit la Callas : mieux veut être une bonne chanteuse populaire qu’une mauvaise cantatrice. À dire vrai, sa version d’Aranjuez mon amour n’aurait su faire oublier celle de Richard Antony, mais tout ou presque y passe dans les albums de Dave et de Nana Mouskouri. De Bach à Mozart, de Beethoven à Liszt sans oublier les inévitables tubes mariaux de Gounod ou Schubert. Jusqu’aux plus beaux airs d’opéra, « Voi che sapete » des Noces de Figaro ou « Casta Diva » de Norma. La variété ne peut s’empêcher de faire son marché dans le grand répertoire. 

Rêve de grandeur ou aveu de faiblesse ? Avoué, le larcin n’en est plus vraiment un et l’on se souvient du pickpocket Gainsbourg faisant son numéro sur le plateau d’Apostrophe face à Guy Béart. Selon lui, la chanson n’est qu’un art mineur et gagnerait dans ses emprunts à s’anoblir. Mais peut-on encore conserver l’original dans son jus quand on lui ajoute des paroles ? Michel Sardou n’est-il pas un peu pathétique quand il enrichit la Septième de Beethoven de coups du destin trop intrusifs et d’une coda lunaire ? En chantant le nom de Beethoven, croit-il gagner sa place au panthéon de la musique ? Écologique avant l’heure, son acolyte Hallyday était plus vrai quand, sans excès pastoral, il se contentait de déclamer… 

Vocations contrariées et désirs de saltimbanques 

Il ne suffit pas d’aimer l’opéra pour pouvoir en devenir l’interprète ; malgré une belle voix et quelques airs réunis sur son album de Baryton, Florent Pagny n’a pu cacher l’imposture quand il a donné la réplique à Luciano Pavarotti. Mais la tentation est là, chez Gilbert Bécaud avec L’enfant à l’étoile puis L’Opéra d’Aran, chez Léo Ferré avec une musique de ballet pour Roland Petit ou avec sa Chanson du mal-aimé, oratorio d’après Apollinaire. Le petit Léo avait cinq à peine qu’il s’imaginait déjà chef et jouait le rôle de tous les musiciens de son orchestre imaginaire. Membre de la Maîtrise de la cathédrale de Monaco, il a été éduqué aux chœurs de Palestrina et de Victoria, et a connu son premier grand émoi musical en entendant la Cinquième de Beethoven. Mais parce que la musique ne nourrit pas son homme, l’enfant s’est vu interdire l’accès au conservatoire. Plus tard, il prendra donc quelques leçons de composition auprès de Leonide Sabaniev et candidatera au concours Verdi de la Scala de Milan, un échec qui rendra le grand saut d’autant plus nécessaire. Lorsqu’il profitera de ses tours de chant pour diriger Coriolan de Beethoven ou le Concerto pour la main gauche de Ravel, la critique ne sera pas tendre. Tout ça à cause d’un père ; on en arriverait presque à envier Michel Polnareff. Chez celui-ci, il n’y avait que du classique, car le reste était proscrit. Installé au piano à l’âge de quatre ans, il était encouragé à passer ses prix à grand renfort de gifles et de coups de ceinturon. Mais le rêve des parents ne saurait être celui des enfants, et il en est né un chanteur pianiste magnifique dont l’inclassable ballade du Bal des Lazes est devenue un classique de la chanson française.  

Demeure alors le cas Sheller, qui s’imaginait, à dix ans, comme « un petit Beethoven sinon rien ». En privé, il a reçu l’enseignement d’un disciple de Gabriel Fauré, s’est essayé sans conviction au sérialisme puis a tourné le dos à l’esthétique des conservatoires pour vivre le pire avec Worst, un groupe de rock niçois. Quand il signera concertos, symphonies et quatuors, il sera conscient des limites : « Ce que je fais, c’est du faux classique. Je suis peut-être mégalomane dans mes envies de machins énormes, mais j’ai été formé dans le respect de ces choses-là. » 

Les lettres d’amour de Rufus Wainwright 

Le 14 juin, Anna Prohaska, la Maîtrise, le Chœur et l’Orchestre Philharmonique de Radio France assureront, sous la direction de Mikko Franck, la première de Dream Requiem de Rufus Wainwright. Déjà compositeur de deux opéras, le compositeur a profité d’une formation classique, jusqu’à un passage à l’Université McGill, tout en sachant très tôt qu’une carrière classique ne serait pas la sienne. Ayant commencé sur la scène folk au sein d’un groupe familial, il est connu pour ses chansons plutôt que pour ses airs. Quand un chanteur se confronte aux grandes formes, il est attendu au tournant. Paul McCartney en a fait l’expérience avec son Liverpool Oratorio, écrit au début des années 1990 pour célébrer l’anniversaire de l’orchestre philharmonique de sa ville natale. N’ayant jamais appris l’art de l’harmonie ou de l’orchestration, il a profité du soutien du chef d’orchestre Carl Davis. Le public a suivi mais la critique s’est montrée méfiante, lui reprochant probablement sa méconnaissance des principes de la composition. À la tête des charts américains de la musique classique, l’album n’a pas répondu à une question essentielle : la nature d’une telle musique. Aujourd’hui pourtant, l’informatique prétend suppléer les manques. Pour ses deux projets suivants, Standing Stone et Working Classical, McCartney a bénéficié du secours des logiciels d’aide à la composition. Rufus Wainwright, lui aussi, a reçu de nombreux conseils pour son premier opéra, et à son tour emploie l’ordinateur, les intentions l’emportant évidemment sur les outils mis en œuvre. Son premier opéra ayant pour sujet un retour à l’opéra, on pourrait croire le chanteur nostalgique. « L’opéra est mon plus grand amour en musique », confie Rufus Wainwright. Avant de préciser : « Prima Donna est ma lettre d’amour au genre. » Avec Dream Requiem, il s’expose à une autre forme. En puisant dans la poésie de Byron, il suit les pas de Britten qui mêlait déjà textes et langues dans son War Requiem. Avec cette sensation de ne plus raconter une histoire mais, dans un face à face avec la mort, de livrer une œuvre authentique et personnelle. 

François-Gildas Tual 

Rufus Wainwright

Titre
14 juin