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Boulez demeure
En 2025, l’Orchestre National de France fête le centenaire de la naissance de Pierre Boulez : le chef et le compositeur sont mis à l’honneur dans 2 concerts dirigés par François-Xavier Roth cernant cette figure majeure et incontournable du XXe siècle.
Ce n’est pas faire injure aux musiciens d’aujourd’hui que de le reconnaître : bientôt dix ans après sa mort, et alors qu’on va commémorer le centenaire de sa naissance, personne n’a su prendre la place que Pierre Boulez a occupée pendant un demi-siècle. Une place éminente et enviée, non seulement dans le microcosme de la création, mais dans le milieu musical en général, pour l’opinion publique, et auprès des grands de ce monde. On lui a d’ailleurs abondamment reproché cet entregent tous azimuts. Mais quel reproche ne lui a-t-on pas adressé… Le pire étant d’avoir été partial dans le choix des compositeurs qu’il dirigeait, alors même qu’il consacra un temps et une énergie considérables à faire connaître les œuvres des autres, les vivants comme les morts ! D’où la gratitude que certains expriment volontiers, eu égard à sa proverbiale générosité à les défendre – on le vérifiera cette saison avec les hommages d’Olga Neuwirth et Philippe Manoury (les 8 février et 17 janvier).
Boulez a alterné des fonctions, des visages pourrait-on dire, qui cohabitent rarement dans le même être : chef, compositeur, théoricien, médiateur, symbole, et homme d’institutions. Comme chef, il a été l’un des seuls Français de sa génération, avec Georges Prêtre, à mener une exceptionnelle carrière internationale. Comme théoricien, il a imposé une esthétique avant-gardiste qu’on peut bien sûr contester, mais qui a servi de colonne vertébrale à un demi-siècle de modernité musicale. Pédagogue sévère mais brillant, il a partagé autant qu’il a pu ses convictions et ses idées, et posé même, à l’égal d’un Leonard Bernstein (quoique sur un autre mode) les bases de ce qu’on n’appelait pas encore la « médiation culturelle ». Emblème, il a pendant un demi-siècle représenté à lui seul cette espèce étrange du « compositeur contemporain » (être nommé dans un sketch d’Élie Semoun, voilà un privilège que ni Dutilleux ni Xenakis n’ont connu !). Homme d’institutions enfin, il s’est battu pour créer des équipements culturels aujourd’hui rayonnants, comme la Cité de la musique.
Peu de compositeurs ont eu une telle influence et laissé un tel legs. Seul Lully jadis a ainsi déterminé la musique française pour plusieurs décennies, cumulant de même les actions artistiques, esthétiques et institutionnelles. Ce qui fait de Boulez, tout simplement, le musicien français le plus important et le plus marquant de son époque.
Quant au compositeur, même si c’était là sa vocation première, il reste à redécouvrir. Nos oreilles ayant évolué, beaucoup de pièces deviennent étonnamment écoutables (on les a si souvent accusées de ne pas l’être…). Pas toutes sans doute : ainsi le Livre pour quatuor (qui sera jouée le 5 février), où la mystique de l’écriture est poussée en une radicalité presque exclusive (et, soit dit en passant, que la mollesse des tendances actuelles ferait presque regretter). En revanche, on commence à pouvoir entendre très naturellement Le Soleil des eaux, que l’Orchestre National de France reprendra le 23 janvier, 75 ans après en avoir assuré la création ; et bien sûr les Notations, qui sont devenues un classique de l’orchestre du XXe siècle (le 17 janvier).
J’évoquais Lully : il nous a fallu presque trois siècles pour réévaluer sa musique. Peut-être pourrait-on essayer, avec Boulez, de prendre un peu moins de temps. Et approcher ces œuvres sans équivalent comme il les a sans doute voulues : non en manifestes, mais comme des messages ruisselants de lumière, et d’un désir infini.
Lionel Esparza
« Approcher ces œuvres sans équivalent comme il les a sans doute voulues : non en manifestes, mais comme des messages ruisselants de lumière, et d’un désir infini. »