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Accueillir pour travailler ensemble
Faire entendre le répertoire ancien par les plus grands interprètes du moment sur instruments d’époque marque une évolution passionnante dans l’interprétation de la musique antérieure au XIXe siècle. Surtout lorsqu’elle implique la participation de nos musiciens « maison ».
Jouer la musique de Mozart, de Haydn, voire de Bach et de Haendel sur instruments d’époque (cordes en boyaux, archets courts, clavecins, hautbois baroques, etc.) n’est plus une révolution. C’est à présent le contraire qui nécessite une explication : pourquoi jouer la musique du XVIIIe siècle sur des instruments adaptés au gigantisme du XIXe siècle ? Comment retrouver la finesse d’articulation demandée par la musique de Rameau sur un instrument capable de jouer les forte les plus glorieux d’une symphonie de Tchaïkovski ?
Pourtant, jouer sur instruments anciens n’est pas une fin en soi. Un des théoriciens les plus écoutés du retour à la façon de faire « de l’époque », Nikolaus Harnoncourt (1929-2016), est très clair sur ce point : « je ne suis pas si dogmatique en la matière, dit-il. Par exemple, avec le Philharmonique de Vienne, je ne dirige pas la Passion selon saint Matthieu sur instruments historiques, et pourtant c’est Bach. Si un orchestre ne joue pas Mozartni Bach, il ne pourra pas jouer Brahms et Stockhausen. Les musiciens ne devraient pas être spécialistes, ils devraient tout jouer. »
La philosophie a donc été très pragmatiquement trouvée par les programmateurs de nos saisons : multiplier les approches. Une première approche est de nous faire entendre Vivaldi, Bach ou Rameau par des ensembles spécialisés invités (Gli Incogniti le 8 décembre, Les Ambassadeurs le 18 mars). La musique baroque vient à nous « clé en main », pourrions-nous dire !
La deuxième est de la faire jouer par nos instrumentistes « maison » : les musiciens de l’Orchestre National de France, notamment, donneront une version « orchestre de chambre » des Variations Goldberg de Bachsur instruments modernes le 15 décembre. Il faut se souvenir que la musique de Bach a longtemps été considérée « pure » par une certaine musicologie, c’est-à-dire désincarnée de tout timbre, facilitant ainsi le passage de l’instrument ancien vers l’instrument moderne, preuve perpétuelle de l’atemporalité de la musique du Cantor de Leipzig.
Il y a enfin la troisième méthode, peut-être la plus passionnante car propre à une institution telle que Radio France : faire collaborer « modernes » et « anciens ». L’épatante réussite de l’Oratorio de Noël interprété par l’Orchestre National de France dirigé par Václav Luks, en décembre 2022, nous a prouvé qu’Harnoncourt avait raison : jouer la musique ancienne sur instruments modernes est une victoire lorsqu’elle est le fruit d’une collaboration intelligente entre artistes de différentes spécialités. Nous accueillons encore une fois avec plaisir Leonardo García Alarcón pour faire travailler nos musiciens sur la musique de Bach et Mozart (les 6 octobre et 8 mars), Ton Koopman sur celle de Haendel (le 11 janvier), tout comme l’Ensemble Pulcinella mettra la Maîtrise particulièrement en valeur dans la musique de Vivaldi (le 10 décembre). Trois approches donc, pour trois manières de goûter au répertoire baroque au sein de la maison ronde.
Christophe Dilys
« Si un orchestre ne joue pas Mozart ni Bach, il ne pourra pas jouer Brahms et Stockhausen. Les musiciens ne devraient pas être spécialistes, ils devraient tout jouer. Nikolaus Harnoncourt »